Bourgogne, virée en Côte de Nuits

Richard Manière, collage d’étiquette à l’ancienne © Pierre-Emmanuel Fehr

Gevrey-Chambertin, Chambolle-Musigny, Vosne-Romanée, Nuits-Saint-Georges… autant d’appellations mythiques de la Côte de Nuits en Bourgogne: réparties en échelle de crus, du village aux 1er crus jusqu’à ses 24 grands crus dont la Romanée-Conti, Clos de Bèze, Clos des Lambrays, Echézeaux, Musigny ou encore Clos Vougeot… Evoquer ses grands crus, les convoiter, les effleurer, puis se balader dans les clos historiques, les déguster et s’oublier dans leurs profondeurs. Aujourd’hui, les grands crus bourguignons s’arrachent à des prix stratosphériques et malheureusement rares sont les vignerons chez qui il est possible de venir les déguster. Petite explication sur la notion de terroir et retour sur nos visites de quatre domaines exceptionnels de la Côte de Nuits, aux antipodes les uns des autres, aux prix et bouteilles accessibles ou… plus difficilement accessibles.

Les Climats

Un vin de terroir… Derrière ce terme utilisé à toutes les sauces, se cache parfois un joli marketing pour répondre à nos envies d’authenticité. Notion aujourd’hui un peu galvaudée, la particularité d’un terroir se manifeste dans le goût du vin, qui devrait être lié à son lieu. Cette recherche du goût du terroir, nous la devons aux moines cisterciens, qui à force de dégustations ont identifié, observé, puis hiérarchisé qualitativement les micro-terroirs de la Bourgogne en parcelles, selon la nature du sol et les conditions climatiques locales. Ces parcelles classifiées s’appellent en Bourgogne des « Climats », qui confèrent aux vins des caractères différents, en fonction de la composition et profondeur des sols, de l’altitude, de l’orientation des parcelles, de l’humidité relative ou encore de la direction des vents. Voilà la magie de la Bourgogne: une volonté de disséquer les terroirs qualitativement par la typicité gustative des vins.

Le terroir, main de l’homme

La Bourgogne n’a toutefois pas le monopole du terme « terroir » et comme partout ailleurs, il s’est construit par la main de l’homme. Le propriétaire du plus grand monopole de la Côte d’Or a par exemple tendance à l’oublier. Lors d’un récent souper, il s’adressa à une de nos îcones du vin suisse en ces termes: « en Suisse, vous essayez de faire du vin mais vous n’avez pas de terroir, vous l’avez créé après-coup. » Glurps. Ah bon? Pourtant les meurgers (murs présents sur les côteaux bourguignons) proviennent de l’extraction de cailloux impropres à la culture de la vigne, l’apport de terres exogènes un peu partout dans la Côte d’Or a bien servi à compenser l’érosion (en 1749, La Romanée-Conti reçut « 150 voitures de terre neuve en gazon, prise sur la montagne »), certains vignerons pour reconstruire des sols épuisés par la culture, utilisent des brise-roches hydrauliques et autres engins pour enlever la terre, broyer et concasser les cailloux sur un demi-mètre de leur roche et Henri Jayer, toujours très respectueux de la nature, s’est bien aidé de la dynamite pour planter ses piquets dans le Cros Parantoux, Climat le plus convoité au monde! Rappel aux plus oublieux: il n’y a pas de terroir sans l’intervention de l’homme, que ce soit en Bourgogne ou ailleurs…

Domaine Richard Manière, Vosne-Romanée

Nous avons pris rendez-vous à l’avance, confirmé par téléphone deux heures avant. A l’heure dite, le portail est fermé, aucun bruit. 30 minutes plus tard, toujours rien. Nous en profitons pour nous dégourdir les jambes autour des vignes mythiques de Vosne-Romanée: la Romanée-Conti, la Grand-Rue, les Richebourgs, Romanée Saint-Vivant. Une heure plus tard, la porte grince: « ah mais il fallait me dire que vous veniez, j’en ai profité pour faire une sieste« . La suite est taiseuse. L’homme laisse parler le vin. Et le laisse couler, en ouvrant généreuseuement une à une ses bouteilles sur l’exceptionnel millésime 2015. Bourgogne rouge, Vosne Romanée Village, Fixin, Nuits Saint George 1er cru Les Boudots (les langues commencent à se délier, avec ce vin racé et tannique), Nuits Saint George 1er cru Les damodes, puis… Vosne-Romanée 1er cru Les Suchots: le temps se suspend, un nez floral, de fraise des bois, aérien, une danseuse étoile. En bouche, quelle caresse du palais, tout en finesse bien que structuré. Puis vint l’Echézeaux Grand cru. Il y a des vins mystiques, qui nous emportent dans les profondeurs. Sombre, au nez serré, qui nous aspire lentement dans l’obscurtié, comme dans le Grand Bleu. Richard Manière, un des derniers vignerons à l’ancienne de la Côte de Nuits, qui sait encore ce que le sens de l’accueil signifie.

Delphine Courtot, Domaine Georges Roumier © Pierre-Emmanuel Fehr

Domaine Georges Roumier, Chambolles Musigny

Nous passons le portail avec la gorge serrée. Les cuvées du domaine sont souvent considérées comme les plus raffinées de la Côte de Nuits, d’une classe à part. Le domaine ne reçoit pas de visite, ne fait pas déguster, ne vend pas: un mythe est un mythe. Delphine Courtot, soeur de Christophe Roumier, nous aborde un verre à la main: « on va déguster »? Euh.. oui avec plaisir. Nous dégustons le millésime 2017 sur fût. Ce qui frappe, c’est la finesse et l’élégance des tannins sur chaque cuvée, que ce soit avec le simple Chambolle-Musigny village, le Morey-Saint-Denis 1er cru Clos de la Bussière, le Chambolles-Musigny 1er cru les Combottes et les Cras ou le Bonnes Mares Grand Cru (plus massif). Mais au-delà du sublime, ce premier contact avec les « Amoureuses », un 1er cru qui dépasse la plupart des grands crus, à quelques pas du Musigny et du Clos Vougeot. Pourtant seulement en cours d’élevage, ce vin est émouvant de finesse et d’une longueur infinie! Il nous laisse une énergie mystérieuse, électrique. Un vigneron au sommet de la Bourgogne, qui à force de travail, de rigueur et de bon sens (dès les années 80, a banni les fertilisants, arrêté les herbicides et fait des « vendanges vertes ») produit parmi les meilleurs vins du monde. Les japonais, qui lui vouent un culte depuis les années 90, relient ses vins à l’Umami, le cinquième goût…

Domaine Bruno Clair, Marsannay-la-Côte

Philippe Brun, oenologue du domaine, ressort soulagé de la cave avec trois convives et dépose son panier de verres avinés. Madame Clair lui annonce que notre rendez-vous a été oublié par erreur. D’un geste résigné, il saisit le panier et d’un pas lent, nous conduit 10 mètres sous terre, dans un dédale de fûts. Au fil de la dégustation sur fût, nous sentons l’adéquation des vins et de l’homme: simplicité, gentillesse, rondeur, respect de la terre. Son Marsannay Longeroies est juteux, son Chambolles-Musigny les Véroilles a des petits airs de Bonnes Mares (il se situe juste au-dessus de ce grand cru mais n’est classé que village, car déboisé tardivement), ses Gevrey-Chambertin 1er cru les Cazetiers et la Petite Chapelle sont déjà croquants et denses. Puis… le Clos Saint-Jacques. Une lenteur en bouche, une viscosité et minéralité à la fois. WAOUW. Il sort la pipette du dernier fût et avec un sourire malicieux nous glisse: « aller, je vous aime bien, on monte et on va déguster le Clos Saint-Jacques et Clos de Bèze 2016 ». Un grand moment, des dégustations ancrage, qui appellent quelques sacrifices financiers…