Vidy : l’éphémère éternel

C’est un bâtiment qui dès sa création voyait ses jours comptés. 180 pour être exact, soit six mois d’existence sur le sol vaudois. Et pourtant, nous voilà 59 ans plus tard, le théâtre original toujours debout, rénové, même augmenté, et devenu un centre de création artistique majeur. C’est au tout début de cette année que l’on découvrait ce nouvel espace dédié à la création contemporaine, bâti sur les vestiges du passé, revalorisé par les architectes de PONT12, le bureau choisi pour ce projet d’ampleur. Si la modernisation des lieux ne peut plus être repoussée pour son bon fonctionnement, l’identité visuelle de ce témoin du passé ne peut pas être perdue. Des interventions raisonnées, une approche nette et simple d’apparence, mais qui en réalité vient mettre en valeur un patrimoine rare devenu l’abri d’une institution d’ampleur.

Découverte d’un lieu destiné à l’éphémère devenu vecteur du futur. 

 

Près de 60 ans plus tôt
Tout commence en 1964, lors de l’Exposition nationale. Dans le cadre de cet événement un immense pavillon dédié à la culture est construit, incluant ce qui est aujourd’hui le Théâtre de Vidy. C’est sous la direction de l’architecte et designer élève du Bauhaus Max Bill que le projet prend vie, et grâce à la volonté de Charles Apothéloz qu’il subsiste alors que sa durée d’existence ne devait se limiter qu’à six mois. Ardemment défendu dans sa conservation, il continue d’occuper sa fonction originelle : celle d’un théâtre, faisant la part belle à la création originale. En 1972 son destin bascule à nouveau quand il devient propriété de la Ville de Lausanne. En quelques années le lieu s’affirme comme un haut lieu du théâtre en Suisse romande, mais également un véritable pôle de création reconnu à l’échelle européenne. Épicentre culturel, l’architecture du théâtre subit cependant les affres du temps. N’ayant pas été construit pour durer, sa fragilité s’affiche rapidement, et les travaux de rénovations et de remaniements se multiplient. Les dix dernières années font également état d’une obsolescence technique désormais impossible à ignorer, tout comme les carences en question de sécurité et d’énergie. Mais les besoins de Vidy ont eux aussi évolués. Centre de création reconnu à l’échelle européenne, le théâtre nécessitait la construction d’une salle de répétition, aujourd’hui ajoutée à la composition des lieux dans le respect de l’esthétique du bâti référent. La remise aux normes du bâtiment ne peut plus être repoussée, et est alors lancée la délicate opération de son remaniement, assurant à celui qui était voué à l’éphémère une pérennité incalculable.

Héritage identitaire
Si au fil des ans les bâtiments additionnels se sont multipliés au sein du théâtre, ici toute l’attention est portée au pavillon bâti par Max Bill auquel vient s’ajouter une nouvelle salle de répétition. Un défi majeur qui doit répondre à deux enjeux : respecter et conserver au maximum le patrimoine architectural des lieux, et réaliser des changements qui ancreront le théâtre dans les besoins de son époque. Pour les architectes de PONT12 une question se pose : comment rénover/restaurer l’existant et comment le prolonger par le nouveau volume de la salle de répétition? Les décennies précédentes ont été le théâtre de nombreux travaux qui ont modifié les lieux. Les façades ont été remplacées, l’espace divisé, mais pour les architectes de PONT12 le plus important est là : la base.

On retrouve dans la structure la géométrie nette et presque tranchante de l’espace sous la main de Max Bill et les influences de son école. Une identité visuelle très forte qui elle n’a pas disparu, et permet aux architectes de cette rénovation de marcher dans ses pas. Au centre de leur préoccupation, on retrouve l’identité visuelle du théâtre qui ne doit pas être perdue au prix de la modernisation. « Dans l’esprit de Max Bill, les interventions sont nettes, simples, répétitives et apparentes, pensées et réalisées avec le minimum de moyens » expliquent les architectes en charge du projet. Il s’agit en effet ici d’un patrimoine rare, le dernier témoin de l’intervention de l’architecte et designer sur la ville des rives du Léman, mais aussi l’un de ses projets les plus importants et persistant dans le domaine public, avec l’École de design de Ulm. Le plus grand défi pour les architectes de PONT12 vit cependant dans l’extérieur des lieux. Dans chacun de ses projets, Max Bill vouait une attention toute particulière au contexte et aux aménagements extérieurs. Adepte d’une approche rationnelle et raisonnée, le travail de l’architecte tend vers une sensibilité empruntée à sa passion pour le Japon  et ses jardins. Dans sa nouvelle version, le théâtre accentue cette relation à l’extérieur avec une composition offrant une ouverture sur le lac et les jardins. Dans le parc, le Théâtre de Vidy se détache alors sur le vert de la végétation environnante comme une œuvre d’art à part entière à qui auraient été rendue ses lettres de noblesse. Si le métal reluisant de l’acier inoxydable porte avant tout en lui la réalisation des normes énergétiques et acoustiques, difficile de ne pas admirer cette façade géométrique miroitante comme une sculpture. Une nouvelle peau qui vient également accueillir la création d’une œuvre d’art imaginée pour l’espace. 

Rencontres sous le regard de l’art
C’est une œuvre d’Augustin Rebetez qui vient mettre un point final à cette rénovation et annoncer la réouverture du théâtre en janvier dernier. S’inscrivant dans le cadre du Pour-cent culturel, cette commande à l’artiste n’est pas anodine. En effet, Augustin Rebetez a souvent été accueilli à Vidy dans le cadre de sa pratique, et cette contribution au nouveau théâtre tombe sous le sens. Il imagine et réalise alors un projet répondant aux deux lignes directrices de la commande : une œuvre visible de loin, et reliant les différents bâtiments du théâtre entre eux. Pour se faire, l’artiste fait le choix de deux interventions distinctes. La première réalisée en néon représente deux visages se faisant face, et symbolisant les Rencontres possibles que l’on peut réaliser dans le cadre de l’institution culturelle. « On peut y voir une relation amoureuse, un débat d’idées, un échange, quelque chose de circulaire, en mouvement. Et aussi quelque chose qui grandit, menaçant, et se tourne vers nous » explique l’artiste. La seconde partie de l’installation sera elle réalisée prochainement aux alentours du théâtre et viendra parer d’un décor peint son sol. Ces peintures figuratives viendront ainsi jouer le rôle d’une œuvre d’art, mais également guider le public vers les différentes entrées de Vidy, chacune d’entre elles dévoilant un nouveau monde à découvrir.