Urs Pircher, alpiniste du Pinot Noir

Bien malheureux celui qui dédaignera les vins Zurichois! Entre Zurich et Schaffhouse se nichent quelques vignes spectaculaires, à flanc de Rhin, étagées sur des collines aux pentes infernales allant jusqu’à un dénivelé de 80%. Le domaine, réputé pour produire un des Pinot Noir vieilles vignes les plus élégants de Suisse, bénéficie d’un micro-climat exceptionnel, protégé des vents par le bois environnant, bercé par un soleil généreux, tempéré par les abords du fleuve. Un petit recoin de paradis, au terroir unique en Suisse, qui n’est pas sans rappeler la vertigineuse Moselle du voisin allemand. 

Le meilleur Pinot Noir Suisse? 

Le meilleur Pinot Noir Suisse… Il n’y a pas une semaine sans qu’un concours ou un article tente de les départager, de prouver la supériorité de l’un sur l’autre, de les comparer aux bourguignons, adoubant soudain les neuchâtelois, affirmant la domination des grisons, fustigeant la chaleur des valaisans, cantonnant les vaudois et genevois à H. Cruchon ou J.-P. Pellegrin. Une certitude, il n’existe aucune vérité si ce n’est la diversité et qualité de nos différents terroirs, dont le climat tempéré convient à merveille au Pinot Noir, qui représente 28% de la surface viticole suisse. A Genève, on recherche plutôt (eh oui, encore des clichés) le mordant (même si celui de Stéphane Gros est tout en velouté), à Neuchâtel ou Bienne la fraîcheur (et alors, que dire du Lerin de la Maison Carrée, minéral et profond?), dans le Lavaux ou la Côte, le fruit croquant (tel celui de Louis Fonjallaz), en Valais la concentration (un exemple de condensé avec le Cœur du Clos des Corbassières du Domaine Cornulus, bien qu’une récente dégustation du Pinot Noir Vieilles Vignes 2017 de Raphaël Maye nous ait prouvé que concentration et fraîcheur ne sont pas incompatibles en Valais), dans les Grisons, la complexité aromatique (toujours interprétée à merveille par Daniel Marugg avec son Pinot Noir Sélection).  

Et Zurich dans tout cela? Sorti de l’anonymat depuis le prix de champion du monde du Pinot Noir en 2009 pour Urs Pircher, il n’a pas le profil de ses voisins grisons, souvent plus végétaux et cuivrés, mais offre une rondeur chaleureuse, à l’image de son terroir, où nous nous réfugierons volontiers en plein hiver pour nous installer sur une chaise longue à regarder les vignes se jeter vers le Rhin, en sirotant une merveille de Pinot Noir Stadtberg. 

La perle d’Eglisau 

Depuis le village d’Eglisau où la bise s’engouffre pernicieusement par ses ruelles, nous apercevons au loin le léger coude du Rhin derrière lequel se cache le domaine Urs Pircher. Après quelques minutes de marche, le soleil se fait plus réconfortant, les courants s’estompent, tout s’apaise, les oiseaux gazouillent, comme si les éléments veillaient de manière bienveillante, réservant leur colère pour les proches environs. Urs Pircher sort d’une petite maison traditionnelle avec un grand sourire, l’œil perçant. « Vous voulez vous balader dans les vignes? Attendez, je vais chercher mon labrador Sina pour qu’elle se balade dans les vignes de Riesling, elles ont le même âge » (8 ans). Les terrasses faites de molasse sont somptueuses, alors que les vignes y sont cultivées depuis l’an 891 

Comment récoltez-vous avec cette pente! En hélicoptère?  

Urs répond avec une malice non dissimulée: « Oh non… nous, nous avons des jeunes hommes en pleine forme. Le Club d’aviron de Zürich vient nous aider, même le champion olympique était là aux dernières vendanges. Et à la fin d’une journée de vendanges, ils enchaînent avec leur entraînement« . 

Et est-ce que comme dans le Lavaux, la légende veut que vos vignes bénéficient des « trois soleils » : direct, réfléchi dans l’eau et par la pierre brûlante des murs en terrasses? 

Non non, chez nous un soleil suffit.«  

Les plus vieilles vignes de Pinot Noir ont 62 ans. Les ceps sont noueux et en pleine forme malgré leur âge, grâce aussi à la culture raisonnée d’Urs Pircher depuis 1984. Il reprend le domaine à 23 ans. Durant six ans, il reste dans la continuité de son père, mais dès 1985, déjà conscient qu’il faut privilégier la qualité à la quantité, il se prête aux « vendanges en vert«  en coupant vers la mi-juillet une partie des grappes pour obtenir une meilleure maturation sur celles restantes. Ce principe qualitatif est aujourd’hui appliqué de manière presque systématique pour les jeunes vignes nécessitant plus de concentration, afin de favoriser la saveur du fruit. Il n’utilise pas d’engrais chimiques, d’insecticides, d’acaricides ou d’herbicides et se convertit au bio. Son filleul Gianmarco Ofer, qui a rejoint le domaine en 2015 après ses études à l’école de Changins et prendra les rênes du domaine dans deux ans, poursuit dans la lignée de son parrain, sans révolution mais avec des essais par petites touches; il prévoit notamment de faire dès cette année un essai en biodynamie sur deux des six hectares. Urs le laisse faire, mais nous lance toutefois un clin d’oeil espiègle lorsqu’il écoute Gianmarco parler de biodynamie. Ce dernier, calme, curieux mais avec les idées claires, ne laisse pas planer le doute sur la qualité future du domaine. 

 

Le Pinot Noir Stadtberg, mais pas que! 

Räuschling 2017 

Cépage autochtone très ancien, de la famille de l’Heida. C’est végétal, sec et floral, avec cette molesse en milieu de bouche, très proche de celle typique du Chasselas. Un cépage qui selon Urs Pircher, vieillit bien, pour en avoir récemment goûté un de plus de 90 ans au domaine Schwarzenbach ! 

 

Riesling-Sylvaner 2017 

Grande fraîcheur, notes de pêche blanche et de poire. Urs en raffole avec la fondue! Avis aux Valaisans… 

Riesling 2017 

La fermentation spontanée n’a pas permis de manger une partie des sucres rédiduels (17gr/L), qui dans ce millésime spécial, offre peu d’acidité. Elle sera probablement vite au rendez-vous pour les prochains millésimes, dans cette petite Moselle suisse prometteuse pour ce cépage. 

Strohwein 2017 

Vin de paille de Riesling Sylvaner et de Räuschling, flétri sur souche pendant trois semaines (150-160° Öchsle). Nous entendons le bourdonnement de la ruche d’abeilles, rien qu’avec une gorgée de ce nectar. Une grande finesse sans écœurer, il pourrait même accompagner du bleu 

Blauburgunder 2017 

Sur ce Pinot Noir passé quatre mois en fût de 2000L, c’est le fruit croquant qui est recherché. C’est un cerisier japonais en fleurs, virevoltant et enivrant! 

Blauburgunder Auslese 2017 

Quelle concentration! C’est pulpeux et sévère à la fois. Sur cette cuvée, ce sont des vignes âgées au petit rendement, qui lui confèrent cette richesse et ses puissants tannins qui le feront vieillir magnifiquement durant dix ans pour les plus patients. Les notes de baies noires se mêlent aux douces épices, avec une pointe de poivre blanc  

Pinot Noir Stadtberg 2016 

Sur ce fleuron du domaine, seuls sont utilisés les raisins issus des meilleures parcelles et des plus vieilles vignes. La cerise est presque liquoreuse au nez, d’une légèreté incroyable, à laquelle s’ajoutent des arômes de cuir, de sous-bois, mais sans aucun végétal. C’est fluide, c’est soyeux, ça serpente doucement comme un ruisseau de sang qui traverse un glacier. Rafraîchissant et gourmand à la fois. Du tout grand Pinot Noir sur un magnifique millésime. 

Pinot Noir Stadtberg 2010 

Connaissant notre intérêt pour les vieux millésimes, Urs Pircher nous ouvre sur cette même cuvée une bouteille qui a vieilli idéalement en bouteille selon lui, à savoir huit ans. Nous sommes directement amplis par de la fraise écrasée, puis c’est un fumé très élégant qui émerge, des épices douces, du clou de girofle… c’est un vin tout en subtilité qui ne veut rien prouver, il se contente d‘être là pour nous, comme son maître, sourire en coin mais attentif. La texture est souple, aucune largesse démesurée, mais de la légèreté, un courant de brise rhénane, qui file et trace en bouche, sans lourdeur ni âpreté.  

Lors de notre dernier passage à la Mémoire des Vins Suisse en 2018, nous avions été soufflés par ce domaine, dont la dégustation des Pinot Noir Stadtberg 2015, 2011, 2007 avait prouvé la capacité de ce Grand Cru à garder fraîcheur et gourmandise avec l’âge.  

Encore des bouteilles à vite encaver… et boire lentement!