Lada Umstätter, à la tête de la HEAD
Lada Umstätter, à la tête de la HEAD
C’est un déménagement d’une rive à l’autre qu’a récemment opéré Lada Umstätter. Après avoir passé cinq années comme conservatrice en chef des beaux-arts au Musée d’Art et d’Histoire de Genève, l’historienne de l’art spécialisée en art suisse a été choisie pour remplacer Jean-Pierre Greff à la tête de la HEAD. Un nouveau poste réunissant ses deux passions, la transmission de la culture à tous, et l’enseignement, qui vient inscrire l’institution dans sa continuité tout en lui insufflant un vent nouveau. Dans un entretien réalisé deux mois suite à la prise de ses fonctions, Lada Umstätter nous raconte le récit de son arrivée à la HEAD en tant que première femme directrice, ses ambitions pour l’école de renommée européenne, et sa volonté de changer l’image que l’on porte sur la culture.
Après la Russie, l’UNIGE, la Chaux-de-Fond, puis le MAH, maintenant la HEAD. Pouvez-vous revenir avec nous sur votre parcours, et les raisons qui ont motivé votre arrivée à la HEAD ?
Tout a commencé pour moi quand j’ai étudié l’histoire de l’art dans mon pays natal, la Russie, où je me suis spécialisée en art suisse. Puis, je suis arrivée en Suisse, et j’ai enseigné cette discipline à l’Université de Genève, vivant désormais dans les paysages que j’avais d’abord rencontrés grâce à Hodler et à Vallotton. Par la suite, mon parcours m’a amenée à travailler dans des musées, sans jamais laisser la recherche et l’enseignement de côté. Concernant la HEAD, pour être complètement honnête avec vous, j’ai eu un temps d’hésitation avant de postuler. Non pas que je ne croyais pas en ma capacité de mener cette institution, mais parce que l’école était un bastion exclusivement masculin jusqu’ici, dirigée par des hommes depuis sa création il y a 275 ans, en 1748 !!! C’est aussi ce délai de réflexion qui m’a permis d’avoir l’élan nécessaire je pense, un élan décisif puisque j’ai obtenu ce poste très convoité après un processus de candidature long et difficile, qui m’a finalement permis de remporter l’adhésion du jury de recrutement à l’unanimité.
Je viens d’une famille où les femmes ont toutes occupé des postes extraordinaires. Mon arrière-grand-mère dirigeait la maison d’haute couture, ma grand-mère était une grande scientifique, ma mère une directrice de musée spécialisée dans l’histoire de l’opéra. J’ai donc été éduquée avec cette idée que les femmes peuvent occuper des postes importants, pourtant il est évident qu’en 2023 encore, les femmes ne se sentent pas toujours légitimes d’occuper des emplois où elles ont une vraie carte à jouer.
Mes deux sœurs et moi-même avons grandi dans une double croyance : que pour être heureuse nous devions être passionnées par notre métier, et que la culture était une échappatoire vitale au quotidien. Moi j’ai deux passions, la culture au sens large ainsi que le désir de la partager avec le plus grand nombre, et la recherche couplée à l’enseignement. Ce poste était donc celui de mes rêves d’une certaine manière, et je suis aujourd’hui très heureuse d’avoir eu confiance en moi et d’avoir postulé.
La HEAD a pour ambition de former les créatifs de demain. Comment abordez-vous cette mission, quelques mois après votre arrivée à la tête de l’institution ?
Beaucoup de gens pensent que pour diriger une école d’art il faut être artiste ou un designer. Je crois que les collègues et les étudiants ont avant tout besoin d’une personne sachant parler leur langue et qui, d’une manière ou d’une autre dans sa carrière, a déjà touché aux différents domaines enseignés dans l’école. Chez nous, la transmission du savoir et le développement de compétences s’acquiert grâce à un corps enseignant d’une exceptionnelle qualité, qui bénéficie d’un plus non négligeable :connaître la réalité du terrain . Tous enseignent à temps partiel, et ont pour obligation de continuer à exercer à côté leur activité de designers, architectes, cinéastes, graphistes, etc. Je pense que ce pré-requis démontre bien l’une des valeurs de l’institution dans laquelle je me retrouve totalement : il faut être inscrit dans le présent, dans le concret, pour former les créatifs de demain. Au-delà de cet enseignement de très haute qualité qui va continuer à se développer en s’étoffant de nombreux intervenants externes, j’ai pour objectif de développer les relations de la HEAD à l’international. Tant pour faciliter les échanges des étudiants, que pour établir des projets culturels ensemble. La HEAD bénéficie d’une réputation qui ne fait que grandir, et nous sommes aujourd’hui en mesure d’entrer en dialogue avec les meilleures écoles à travers le monde.
Vous avez confié l’an dernier vouloir changer l’image de la HEAD. Qu’entendez-vous par ceci ?
Il est clair qu’encore aujourd’hui la HEAD, à l’image de nombreuses écoles d’art et d’arts appliqués en Europe, souffre parfois de points-de-vue simplistes de la part du public ne la connaissant pas bien et la jugeant de ce fait « élitiste, intimidante, usine à chômeurs …», on entend vraiment tout et n’importe quoi. Cela démontre une incompréhension à l’égard de ce que nous faisons réellement, c’est-à-dire former des esprits créatifs très précieux, qui constituent en réalité les forces vives parmi les plus polyvalentes de tous les diplômés sortant des grandes écoles. Pour changer notre image vis-à-vis du grand public, je pense qu’il est important de communiquer plus et mieux sur ce que nous faisons au sein de l’école, et de proposer des événements accessibles à tous, en dehors de nos murs. Mais au-delà de cela, j’ai pour souhait de créer des cours occasionnels pour les enfants donnés par nos étudiants, dans le domaine créatif au sens large. Pour moi, ils sont le pont qui peut faire comprendre aux adultes ce que nous faisons réellement, mais aussi l’importance de la créativité et de la culture dans notre société. Ce projet de changer l’image de la HEAD s’inscrit dans quelque chose de plus grand : changer le regard de la société sur le monde de la culture. On peut me reprocher que c’est un projet démesuré, qu’une école ne changera pas la société, mais je crois qu’il est important d’essayer et que nous avons toute la légitimité et pour enclencher ce changement.
Dans le cadre de l’école en elle-même, quels autres projets souhaitez-vous développer au sein de la HEAD ?
L’équipe et moi-même avons de nombreuses idées, à l’image de l’expansion d’une programmation culturelle déjà dense, de l’accueil continuel d’intervenants extérieurs, qui atteint déjà les 1000 par an à l’heure actuelle. Parmi les projets qui me tiennent particulièrement à cœur, je peux mentionner le développement du master en cinéma. Nous travaillons en collaboration étroite avec l’ECAL dans le cadre de ce programme, en ayant une ambition de créer une « école nationale de cinéma » en Suisse romande. En nous associant aux autres écoles romandes, en réunissant nos compétences, mais également en travaillant avec les autres départements de la HEAD à l’image de l’architecture d’intérieur et de la mode, nous pourrons créer un enseignement d’excellence dans ce domaine.
Je suis arrivée avec beaucoup d’idées, et l’équipe de passionnés qui m’entoure fourmille elle aussi de propositions. La Suisse est un territoire d’une grande richesse culturelle, avec de nombreux musées, des écoles de renom en nombre qui collaborent entre elles et offrent des propositions variées menant à une multitude de possibilités pour les créatifs qui étudient en Suisse. Depuis toujours, c’est un pays qui a vu naître de nombreux esprits brillants qui se sont démarqués dans le monde de l’art et du design, même si cela n’est pas toujours connu de tous. Et nous espérons bien ici à la HEAD continuer de cultiver un terreau fertile pour les futures générations qui permette à la Suisse de bouillonner de propositions culturelles, aujourd’hui, et demain.
Av. de Châtelaine 5, 1203 Genève
www.hesge.ch/head/