Un toit pour l’art
©Maison-Matrice
C’est un lieu qui nous rappelle un eldorado, un rêve d’artistes devenu réalité. La Maison-Matrice tire son nom d’une définition qui représente à la perfection ce projet audacieux : un environnement culturel, social, politique, dans lequel quelque chose se développe. Car avant d’être un espace où l’art prend vie, un lieu de résidence, ou encore un toit sous lequel les âmes créatives peuvent se réfugier, la Maison-Matrice est un espace voué à la création de liens. Liens entre les concepts, les sons et les couleurs par la pratique des arts, mais aussi entre les individus, entre les esprits. Situé à Crémines, dans le Jura Bernois, cet espace a été imaginé et investi par un groupe d’amis, des artistes en quête de communauté, désireux de créer un lieu ouvert à tous et géré par tous où l’art s’entend dans son sens le plus large. Une belle aventure qui réclame aujourd’hui toute notre attention alors que la maison et ses dépendances se retrouveront sur le marché dans quelques mois. Rencontre avec Claire Huguenin, une des porteuse de ce projet à ne laisser disparaître pour rien au monde.
Pouvez-vous nous présenter le projet de Maison-Matrice ? Quelle était l’idée de départ ?
Le projet a commencé il y a deux ans et a largement été inspiré par Le Pantographe, à Moutier. Là-bas s’organisaient des résidences d’artistes, mais aussi des festivals pluridisciplinaires, un lieu réellement atypique. Moi-même et les autres personnes à l’origine de la Maison-Matrice adorions cet endroit, et lorsque nous avons découvert le potentiel de la maison à Crémine, nous avons immédiatement pensé à reproduire le modèle. De fil en aiguille l’association est née et nous avons commencé à développer les lieux. Des premiers artistes sont venus en résidence, d’autres personnes se sont installées sur place de façon permanente, et grâce au bouche à oreille, la Maison-Matrice a grandit. Aujourd’hui, 7 adultes et 2 enfants vivent sur place de manière permanente. Du côté des musiciens jazz, mon compagnon Malcolm Braff et moi-même, Alvin Schwaar, Noé Franklé, Chadi Messmer et Martin Theurillat, mais aussi une étudiante, Nyima Sauser, et une artiste visuelle, Yolanda Miere. La maison accueille de nombreux artistes en tout genre en résidence, mais aussi des personnes de passage qui viennent l’espace d’une journée pour travailler dans un espace sympa et différent. En résumé, nous sommes une association d’artistes ayant investi des lieux pour créer une communauté ouverte à tous.
Concrètement, comment est-ce que fonctionne votre association ?
Notre envie c’est avant tout de créer un espace de liberté dédié à l’art dans le sens le plus large du terme, que nous entendons ici comme un moyen de créer des liens entre des idées, des concepts, des objets et des personnes. La Maison-Matrice fonctionne comme une véritable communauté, chacun apporte ce qu’il peut, que ce soit en bricolant un des bâtiments, en s’occupant du jardin potager, ou en apportant des idées. Cette grande liberté que nous mettons en avant permet à de nombreux projets de germer, mais aussi à l’espace d’évoluer. Notre désir est également de démonétiser les lieux, et donc ici tout fonctionne avec des prix libres, mais aussi l’idée d’échange, de troc. Les résidents de la Maison-Matrice, qu’ils soient de passage, ou présents pour plus ou moins longtemps, participent à la vie de l’association de la manière qui leur convient le mieux, et je pense que c’est ça aussi qui rend le projet unique.
La Maison-Matrice se veut comme un espace où l’art se produit au quotidien selon votre définition, mais organisez-vous également des événements ouverts au public ?
Comme tout le monde nous avons été frappés de plein fouet par la crise sanitaire, mais ce qui est génial avec une communauté comme celle-ci c’est que les idées sont très nombreuses. Nous avions comme projet d’organiser un mini-festival de musique, et espérons que nous pourrons le faire dans un futur proche. Le théâtre est aussi une activité importante en ce moment, et nous adorerions mettre quelque chose sur pieds rapidement. Mais au-delà des événements culturels nous souhaitons également mettre en place des activités liées à l’échange d’objets et à la récupération comme une étagère de livr’échange devant la maison, ou un marché gratuit. Sinon nous avons aussi une immense ludothèque de jeux de sociétés que nous mettons à disposition des habitants, et nous avons aussi organisé un atelier de peinture pour les enfants, encore une fois à prix libre. L’espace fourmille de possibilités.
Pouvez-vous nous parler de la collecte de fonds organisée et de sa raison d’être ?
Depuis le début, nous louons les lieux, le bâtiment principal qui est immense et qui présente encore plein d’opportunités, mais aussi les bâtiments annexes comme la scierie, et les jardins. Mais il y a quelques temps les propriétaires, qui ont très bien accepté notre projet dès le départ, ont décidé de vendre. Au lieu de voir ça comme la fin du projet, nous avons décidé d’organiser une collecte de fonds sur notre site internet. Nous avons la priorité sur l’achat jusqu’au mois de juin, mais ensuite la propriété sera mise sur le marché. Notre objectif est donc de récolter un maximum d’argent pour faire perdurer ce projet en créant une fondation dotée du bâtiment. Cette fondation aura pour mission de maintenir le bâtiment fonctionnel en le louant à prix coûtant à des associations telles que la nôtre, non-lucrative, ouverte à tous, basée sur l’échange, le partage. Ce n’est en rien un business. Mais pour que ce beau projet perdure la levée de collecte de fonds est vitale, et nous espérons que grâce aux dons la Maison-Matrice pourra continuer d’exister.
Comment envisagez-vous l’avenir de la Maison-Matrice ?
C’est difficile de répondre à cette question car le projet même de la Maison-Matrice réside dans son aspect modulaire, évolutif. Au gré des arrivants, mais aussi de ceux qui décident de partir, l’association change de visage, elle n’est pas fixe. C’est aussi ça qui fait sa force. Les apports d’idées sont nombreux, et les lieux évoluent au gré des inspirations et des opportunités. Evidemment notre souhait commun est que ce projet dure dans le temps, mais sous quelle forme, cela ne nous appartient pas vraiment de le décider. Un autre point qui nous tient tous à coeur cependant c’est de nous implanter un peu plus dans la région. De nous faire connaître des riverains, et d’engager plus d’échanges, plus d’activités, avec les habitants qui résident dans les environs, de leur montrer cette production d’art locale. Pour nous aujourd’hui, si nous réussissons à maximiser l’utilisation des bâtiments et à créer une institution durable, nous aurons déjà atteint un bel objectif. L’avenir se dessinera ensuite de lui-même.
La Maison-Matrice, Rue de l’Industrie 65, 2746 Crémines, www.maison-matrice.org