Un patrimoine insoupçonné

Le Musée d’Art et d’Histoire, tout comme le Cabinet d’Arts Graphiques, le Musée d’Ethnographie, le Musée de l’Ariana, la Fondation Bodmer ou encore la Bibliothèque de Genève détiennent dans leur réserve de l’art islamique en grande quantité.
Régulièrement, et à juste titre, mises en avant pour la richesse de leur collection d’art occidental, les institutions muséales et les fondations genevoises se distinguent également par leur collection d’art islamique. Manuscrits, céramiques et peintures confondues, le total avoisine le millier d’objets et a été intégré aux institutions à la fin du XIXème/début du XXème siècle suite à des legs. Ces pièces encouragent à considérer Genève comme un centre d’importance européenne dans le domaine aux côtés de Paris, Londres et Berlin et rappellent le goût pour l’Orient qui faisait foi au siècle dernier.
Le Musée d’Art et d’Histoire, le Cabinet d’Arts Graphiques, le Musée d’Ethnographie, le Musée de l’Ariana, la Fondation Bodmer, la Bibliothèque de Genève : toutes ces institutions contiennent dans leur réserve de l’art islamique en grande quantité, mais l’exposent peu. Cela peut se comprendre au vu du manque d’espace à disposition et de la fragilité des œuvres, mais cela dénote aussi une volonté de mettre en avant certaines pièces au détriment d’autres…D’un point de vue chronologique, elles s’étalent entre le Xème siècle pour les premières céramiques et le XIXème pour les peintures les plus tardives.
Collectionner « l’Autre »
Au siècle dernier les œuvres d’art islamique ont été avidement recherchées, collectionnées et exposées. Les publications de l’épigraphiste genevois Max van Berchem sur les inscriptions arabes, les diverses expositions d’art oriental qui se sont déroulées à Paris entre 1880 et 1913 et une situation politique instable dans les pays du Moyen-Orient et d’Asie Centrale ont favorisé une circulation des objets et ont contribué à lancer une mode de collectionnisme islamique en Europe à laquelle Genève n’a pas échappé. L’art islamique incarnait alors cet « autre » qui fascinait et représentait un marché de niche où il était encore possible de trouver des objets d’exception à prix raisonnable. Les premières collections ont d’abord été formées par de fins connaisseurs au gré de leur voyage et de leur poste à l’étranger – souvent en lien avec l’archéologie ou la diplomatie. On peut notamment citer le célèbre Gustave Revilliod (1817-1890), dont la collection de céramiques iraniennes et Izniks forme l’épine dorsale de l’Ariana ou Jean Pozzi (1884-1967), moins connu, qui a occupé le poste de ministre plénipotentiaire de France en Perse dans les années 1930. Les peintures et dessins amassés par Pozzi représentent à eux seuls plus de 500 pièces et ont été légués à la Ville de Genève à sa mort. À titre d’exemple, on peut relever trois folios du Grand Shahnameh Mongol, poème épique iranien copié et enluminé vers 1335 dont les pages monumentales de 60 x 40 cm ont été pour la plupart arrachées et dispersées par un marchand d’art peu scrupuleux au début du XXème siècle. Genève compte parmi les rares villes à posséder des folios aux côtés du Metropolitan Museum of Art à New York, du British Museum à Londres et du Louvre à Paris. Il serait donc à espérer que davantage d’expositions voient le jour dans les prochaines années pour mettre en valeur ce patrimoine. À bon entendeur.

Garshâsp sur son trône, vers 1335-1340, ©MAH Musée d’art et d’histoire, Ville de Genève. Legs Jean Pozzi
