Un nouveau musée pour Genève
Collection du Crest, Jussy © Photo ©Lucas Olivet
Caché au cœur du domaine viticole du Crest, c’est un nouvel écrin consacré à l’art genevois qui se dévoile aux curieux. Dans un ancienne grange prend désormais place un espace à l’architecture des plus contemporaines, accueillant près de cent œuvres de la collection du Crest, rassemblant des peintres à l’image d’Alexandre Calame et de Ferdinand Hodler pour ne citer que quelques figures de proue. Focalisée sur les artistes du canton, cette collection invite le public à la découverte d’œuvres pour la plupart restées confidentielles jusqu’alors, mais dont le pédigrée a su gagner en prestige au fil des années. Quelques jours après son ouverture officielle au public, nous avons pu rencontrer le propriétaire de la collection, Yves Micheli, et le co-curateur de ce nouveau musée en terre genevoise, Philippe Clerc. Découverte de cette grange contemporaine qui s’est faite écrin de l’art genevois.
La genèse de la collection
Tout commence en 1946, au Domaine du Crest, dans la commune de Jussy. Pour Noël, le propriétaire des lieux, Jean-Louis Micheli, fait l’acquisition d’une toile peinte par Alexandre Calame, représentant les Bois de Jussy. Un tableau qui allait alors marquer la première étape d’une collection rassemblant aujourd’hui plus de 200 œuvres, constituée par le fils de Jean-Michel, Yves. Il n’avait peut-être que dix ans quand cette toile entra dans sa vie, mais elle allait laisser une emprunte indélébile dans son esprit, et faire naître sa passion pour l’art genevois. Cette peinture qui écrivait les premières lettres de cette histoire se trouve aujourd’hui accrochée dans une ancienne grange du domaine, reconvertie tout récemment en espace d’exposition, par ce passionné désireux de faire partager au grand public sa collection d’exception. Un projet long et semé d’embûches, mais aujourd’hui, en juin 2023, l’espace d’exposition est enfin ouvert au public qui peut désormais venir admirer près d’une centaine d’œuvres, rassemblant des artistes ayant tous en commun la cité de Calvin. S’ils n’y sont pas nés, ils y ont ardemment travaillé, à l’image du bernois Hodler désormais considéré comme genevois par tous. Des noms célèbres qui ont marqué l’histoire de l’art à l’échelle internationale, mais aussi des artistes plus confidentiels, dont le travail, s’il est resté dans l’ombre, mérite cependant toute notre attention. Sur les murs immaculés de la grange transformée, c’est un voyage chronologique qui nous attend, débutant au 18ème siècle pour se terminer en 2005. Si la peinture de paysage à la part belle, lac et montagne se faisant sujets de prédilections de nombreux artistes installés à Genève, les exceptions sont notables, avec des alcôves consacrées à la nature morte et aux nus, ainsi que quelques sculptures venant ponctuer le parcours. En vous baladant, vous ne reconnaîtrez pas de nombreuses des peintures accrochées. En effet, la majorité d’entre elles ont été acquises auprès d’autres collectionneurs privés, ou lors de ventes, certaines, mais rares sont-elles, ayant participé à des expositions muséales. C’est donc une plongée inédite dans l’art genevois qui se propose ici, rappelant les multiples facettes de la production locale au fil des ans.
Ode à l’art genevois
Un point de focus sur l’art genevois donc, qui commençait dès le départ avec la figure emblématique d’Alexandre Calame dont le travail est présenté à travers quatre toiles. Dans la première partie de l’exposition, l’espace étant divisé en deux frises chronologiques, on retrouve le peintre animalier Jacques-Laurent Agasse, dont une peinture faisant partie des plus imposantes de la collection vient démontrer toute la technique de l’artiste dans la représentation de l’anatomie animale. Chiens de chasse, une œuvre réalisée durant sa période britannique, sa carrière se déroulant en grande partie outre-manche, est sans équivoque l’une des plus impressionnantes de la collection tant par ses dimensions que par la capacité de l’artiste à saisir l’expression et le caractère de chaque animal. En progressant au fil des alcôves et le long du mur d’exposition principal, se découvrent alors des créations de Firmin Massot, Jean-Etienne Liotard, François Diday ou encore Barthélémy Menn. Une transition mêlant histoire du domaine, et bronzes de Robert Hainard nous mène à la seconde salle où notre regard est immédiatement attiré par la Prairie de printemps au pied du Salève peinte par Ferdinand Hodler. L’année 1888 marque pour le peintre celle de sa représentation du Salève, mais ici la toile se démarque du reste de son Œuvre. Le cadrage nous donne la sensation d’être à la place du peintre, assis perdu au milieu des herbes et fleurs sauvages. Une approche esthétique qui rappelle son adage, la peinture pour lui devant être à l’origine d’émotions chez le spectateur. Au fil du parcours de la seconde salle, à Hodler succède Alexandre Perrier, et Jean-Daniel Ihly qui immortalisait dans une de ses toiles les travailleurs des carrières de pierre à bord des barques à voiles latines. Autres pièces notables de la collection, une toile d’Emile Chambon, ainsi que d’Otto Vautier et Alice Bailly dont est ici présentée une nature morte aux influences résolument cubistes.
Écrin architectural
Pour créer l’espace d’exposition de la collection, c’est le bureau d’architecture genevois Pictet Broillet Architectes qui a été sélectionné. Au départ, le musée qui se fait désormais écrin de la collection était une grange ayant servi durant des années à entreposer le fourrage. Un passé qui se retrouve dans l’imposante porte en bois faisant disparaître la collection les jours de fermeture, mais aussi dans les hauts plafonds offrant un espace d’exposition digne d’une grande institution. Le blanc est à l’honneur avec un espace immaculé rehaussé de touches de bois clair réchauffant l’espace, mis en valeur par un jeu de lumière discret mais efficace. Le caractère contemporain est évident dès notre arrivée devant l’entrée de la collection, et se développe dans l’imposante cage d’escalier, jusqu’aux galeries où le blanc domine encore, laissant tout le loisir aux œuvres de s’exprimer. Des fenêtres découpées en losange viennent offrir une vue privilégiée sur le domaine, jouant encore un peu plus de la perspective brillamment travaillée dans l’espace. Un écrin d’exception où l’art genevois a trouvé son nouveau refuge.
Collection du Crest
Ouvert les mercredis et samedis de 10h à 17h
Route du Château du Crest 40
1254 Jussy
www.collectionducrest.ch