Un monde à guérir : la Croix Rouge hors cadre

Guerre sino-japonaise 1937-1938. Shangaï. Population fuyant les bombardements.

L’histoire de le l’humanitaire s’est écrite à travers les textes, mais sans la photographie elle ne serait rien. C’est le message que nous fait passer la nouvelle exposition du Musée International de la Croix Rouge et du Croissant Rouge, « Un monde à guérir – 160 ans de photographie à travers les collections de la Croix Rouge ». Cet accrochage comportant pas moins de 600 images dont les plus anciennes datent de 1860, retrace l’histoire de l’humanitaire en photographies, mais va aussi plus loin. À travers l’exposition, les commissaires nous poussent également à voir l’envers du décor, à regarder au-delà du cadre. Outil de communication, méthode de sensibilisation, représentation juste de la réalité, l’image nous dit-elle toujours la vérité ? Avec des clichés sortis des réserves du musée et de ses organisations sœurs, l’exposition dévoile des photographies célèbres mais aussi plus confidentielles, qui ont raconté pendant 160 ans l’histoire d’un monde à guérir. 

 

L’humanitaire en images

Elles sont omniprésentes dans l’actualité, faisant régulièrement la Une des médias. Les photographies humanitaires racontent en images depuis maintenant 160 ans les histoires d’un monde en souffrance. Cet outil allait alors devenir capital pour le Comité International de la Croix-Rouge, qui dès 1863, à l’aube de la photographie, voit cette invention comme la méthode idéale pour montrer au grand public la réalité du terrain et les drames qui s’y jouent. La photographie se fait alors primordiale, servant à communiquer sur l’urgence de situations à l’étranger, se servant de la capacité à choquer du média visuel. 

Alep. Destructions.

L’exposition rassemble nombre de ses célèbres photographies qui ont marqué l’histoire de la Croix Rouge, mais aussi les mémoires de tous ceux qui les ont croisés. Si les photographies de l’agence Magnum sont nombreuses dans l’exposition, les commissaires ont ajouté à ces clichés inoubliables des images plus confidentielles, sortant du cadre, offrant un regard différent sur une situation unique. Nous découvrons alors des photos prises par des anonymes, au cœur des conflits, des famines, des catastrophes, des drames qui ont jalonné les décennies passées. La situation est tout à coup différente, dévoilée sous un autre jour. Peut-être aussi vécue à travers une autre sensibilité : celle d’un homme, d’une femme, pris au piège dans une situation, ne se préparant pas à vendre son cliché, mais immortalisant simplement une réalité qui est alors la sienne. À ces images se mêlent des photographies n’ayant jamais été rendues publiques, mais uniquement communiquées en interne au sein des organisations de la Croix Rouge. Des images qui choquent, témoignant d’une réalité parfois trop réelle pour être montrée au grand public. Des outils de travail, pour guérir ce monde. 

« Un monde à guérir – 160 ans de photographie à travers les collections de la Croix Rouge » s’offre alors comme un kaléidoscope de l’histoire humanitaire, vue à travers différents regards, du reporter à la victime, en passant par les acteurs de la Croix Rouge. Un mélange équilibré qui donne à cet accrochage tout son caractère, nous plongeant au cœur d’une réalité qui devient presque plurielle, dans le cadre, hors du cadre. 

Lesbos, camp de régugiés de Moria. Un père afghan et son enfant devant leur tente improvisée.

Apprendre à regarder

Pour les commissaires, il fallait cependant aller plus loin. Si l’exposition retrace 160 ans d’histoire à travers 600 images, elle fait également la lumière sur des situations trop souvent présentées sous un angle choisi. Car si les photographies de la Croix Rouge ont pour objectif de sensibiliser à des situations, de montrer l’horreur, de faire réagir, de mobiliser, ces objectifs sont remplis grâce à des choix photographiques réfléchis. Il faut savoir quoi montrer, immortaliser le médecin en pleine action, cadrer la souffrance, mais sans viser trop d’horreur dans l’objectif. Le photographe ajuste, sélectionne, cadre la misère, la détresse. Le musée le dit dans son exposition, la photographie fut dès le départ un outil de communication idéal, à la visée des plus nobles oui, mais un outil qui a poussé à choisir. Les commissaires derrière ce projet invitent alors le visiteur à apprendre à regarder. Grâce à des clés de lecture qui vous seront dévoilées, analysez les clichés et interrogez vous : que veut nous montrer le photographe, comment l’image a-t-elle été prise, que se passe-t-il hors du cadre ? Une invitation à porter un regard critique, et ainsi à mieux comprendre l’histoire de l’humanitaire, dans un monde qui reste encore aujourd’hui à guérir.

 « Un monde à guérir – 160 ans de photographie à travers les collections de la Croix Rouge », du 16 novembre 2021 au 24 avril 2022, Musée International de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, avenue de la Paix 17, 1202 Genève, https://www.redcrossmuseum.ch/