Souvenirs d’enfance

Elisabeth de Stoutz, La Ronde, 1891, ©MAH, Photo B. Jacob-Descombes

Ce sont des trésors qui sommeillent dans les réserves du Musée d’Art et d’Histoire qui s’exposent désormais en salle 15. Des tableaux rarement, ou même jamais exposés, viennent peupler les murs de cette salle d’expositions temporaires avec une thématique à la fois rare et passionnante, celle de la représentation de l’enfant dans l’art suisse. Les peintres d’Albert Anker à Ferdinand Hodler ont exploré ce sujet à travers les ans, nous rendant chacun à leur façon une image de l’enfance, transportant le spectateur dans un monde d’innocence et de fragilité. L’exposition divisée en quatre parties, la maternité, l’enfant en famille, l’enfant en société, et la souffrance de l’enfant, explore avec délicatesse et à travers un regard novateur cette figure à part entière du monde de l’art. Couvrant un siècle de peintures, le nouvel accrochage temporaire du MAH nous invite à plonger dans cette période chérie de l’enfance, vue par les plus grands maîtres de la peinture suisse.

Candeur, intimité, et réalité

Alors que le Musée d’Art et d’Histoire a rouvert ses portes, une exposition  enchanteresse nous attend pour accueillir le retour à la normale. L’équipe de l’institution nous propose de découvrir un accrochage des plus passionnants par la sélection de ses oeuvres, nous invitant à découvrir certaines toiles pour la première fois, sortie de la réserve du musée. Déclinée en quatre temps forts, l’exposition s’attelle d’abord à illustrer l’étape de la maternité. Largement représentée en peinture à travers le figure de la Vierge et du Christ, où l’enfant est majoritairement illustré comme un être au physique et au mental en décalage avec son âge réel, l’éloignant d’une représentation véridique et retirant à la toile tout réalisme. Mais la période que nous propose de découvrir L’enfant dans l’art suisse, regroupant des oeuvres s’étalant de 1830 à 1930, a depuis près d’un siècle quitté les codes de cet enfant idéal et se focalise alors sur un autre aspect des premiers mois de vie d’un humain : le lien maternel. La mère représentée comme l’être protecteur est perçue comme ce personnage possédant un lien unique avec sa progéniture. Cette étape de l’enfance fut largement représentée par le peintre Alfred van Muyden, tandis que Carl Angst s’attèle à imaginer cette attache si particulière à travers le travail de la sculpture. Cette première étape de l’exposition nous mène alors à une réflexion sur l’entourage de l’enfant, et ainsi à sa représentation dans le cadre familial. La toile intitulée Après le Bain, peinte par la suissesse Martha Stettler, nous dévoile une scène familiale, invitant alors le spectateur à entrer dans l’intimité des personnages, tout en jouant sur les ombres et les lumières, pour apporter à l’oeuvre une authenticité paisible. 

Martha Stettler, Après le bain, vers 1910, ©MAH Photo B. Jacob-Descombes

Succédant à ces deux thématiques résolument tournées vers l’intimité et les sentiments familiaux, la suite de l’accrochage s’attèle à représenter l’enfant dans le monde, son entrée dans la sphère sociale et le statut particulier qu’il y occupe. Dans le cadre scolaire, ou alors dans le domaine de l’éducation religieuse, l’enfant évolue dans un monde qui s’adapte à lui, alors qu’en réalité la société forme ses futurs acteurs. L’artiste Elisabeth de Stoutz illustre largement cette thématique, alors que dans ses oeuvres la candeur semble emprunte de la nostalgie d’une enfance trop vite disparue. La dernière thématique s’attèle à illustrer un pan à la fois bien réel et socialement très marqué, la souffrance. Si la candeur et l’insouciance semblent faire partie intégrante de cette exposition, les curateurs n’ont cependant pas oublié d’illustrer une réalité qui touchait les classes de populations les plus défavorisées, devant faire face à la malnutrition, aux maladies enfantines, et aux accouchements réalisés dans de mauvaises conditions sanitaires. Ce dernier thème démontre à merveille la capacité de la curation à n’omettre aucun aspect de l’enfance, de ses bonheurs à ses souffrances, qui furent si merveilleusement représentés par les artistes suisses du 19ème et du début du 20ème siècle.

Un siècle d’art suisse

Au-delà du choix des curateurs quant au thème de cette nouvelle exposition temporaire, c’est une véritable fierté nationale qui se dégage de cet accrochage. Aux murs du MAH nous découvrons une constellation d’artistes suisses issus de différents milieux, mais aussi des femmes, à l’image d’Elisabeth de Stoutz et de Martha Stetter, des noms encore trop peu connus qui cachent des oeuvres d’une grande exception. Les amateurs d’art suisse ne manqueront pas de venir admirer le portrait de Ferdinand Hodler, ni l’émouvante représentation d’une jeune fille paysanne peinte par Albert Anker. À travers un sujet complexe et aux mille et une facettes, le Musée d’Art et d’Histoire nous démontre l’ampleur de ses collections, mais par-dessus tout nous ouvre une nouvelle fois les yeux sur la richesse de l’art suisse, né au milieu des lacs et des montagnes. 

L’enfant dans l’Art Suisse, d’Agasse à Hodler, du 9 juin au 31 décembre 2020, Musée d’Art et d’Histoire de Genève, Rue Charles-Galland 2, 1206 Genève, www.mah-geneve.ch