Quand le décor devient sujet

Claude Lorrain, Pastorale avec l’Arc de Constantin, 1648 (détail), Kunsthaus Zürich, don dʼHolenia Trust à la mémoire de Joseph H. Hirshhorn, 1996

L’art du paysage, omniprésent aux murs de nos musées, ne fut pas toujours considéré comme un sujet égal au portrait ou à la peinture d’histoire. Longtemps relégué au rang de décor, de la Flandre à l’Italie, des peintres à l’image de Titien, Joachim Patinir, ou d’un certain Claude Lorrain, osent placer le paysage sur le devant de la scène, mais ce genre trouvera ses lettres de noblesse seulement au 17ème siècle. Dès lors mis en avant, célébré, unique sujet de tableaux où l’homme se fait discret, voire absent, le paysage constitue aujourd’hui un des genres les plus importants de l’Histoire de l’Art, mais également l’un des plus appréciés du public. La nouvelle exposition temporaire du Kunsthaus de Zürich nous invite à entrer dans cette nature obéissant aux pinceaux des artistes à travers 60 oeuvres, les plus anciennes remontant au 15ème siècle, et nous démontre par son accrochage que ce genre qui laisse la nature reprendre le dessus n’a rien à envier aux plus beaux portraits.

À une époque où la nature semble retrouver toute son importance, où l’Homme réalise peut-être enfin que sa valeur n’est pas à prendre à la légère, un accrochage lui étant consacré semble apparaître comme une évidence. Le Kunsthaus de Zürich invite son public à venir plonger dans une infime partie de son impressionnante collection, consacrée dans le cadre de cette exposition à la peinture de paysage du 15ème siècle à l’aube de la modernité. Au total, 60 peintures sont présentées, la plus ancienne datant de 1450, alors que les plus récentes viennent explorer cette thématique avec une touche impressionniste, focalisée sur les sensations du paysage et non plus seulement sa composition.

Jan van de Cappelle, Boote in der Scheide-Mündung, 1651, Huile sur toile, 66 x 97 cm Kunsthaus Zürich, Ruzicka-Stiftung, 1950

Ce parcours pictural nous invite à nous plonger dans l’histoire de ce genre si peu considéré durant des décennies, et qui parvient à la reconnaissance grâce à la ténacité et au talent d’artistes aussi respectés que Claude Lorrain ou Jacob van Ruisdael. Nous découvrons tout d’abord les oeuvres les plus anciennes, où le paysage est bel et bien présent mais n’occupe qu’une place mineure dans la composition, servant de décor à des scènes bibliques ou historiques, une nécessité qui n’attire alors à l’époque aucun regard. Si les paysages en arrière plan sont exécutés avec exactitude et détails, la nature n’est que prétexte pour mettre en valeur les sujets qui l’occupent. La reconnaissance de ce genre aujourd’hui tant apprécié nous la devons notamment aux artistes néerlandais, qui dès le 16ème siècle placent le paysage au centre de la composition, la nature comme sujet unique. Jan van Goyen, Jacob van Ruisdael, ou encore Nicolaes Berchem, peintres baroques, abandonnent peu à peu la peinture religieuse pour se consacrer à leur nouvelle Bible qui se déploie à chaque instant devant leurs yeux : la nature. Mais si ces artistes osent se tourner vers la peinture de paysage, ils ne sont pas les seuls à s’y atteler. En Italie les oeuvres représentant la nature comme unique sujet et point de focal se multiplient elles aussi. Le Kunsthaus nous propose de découvrir des toiles de Salvator Rosa, mais aussi de Claude Lorrain, artiste emblématique du genre, aux compositions pastorales où la lumière joue un rôle capital, sublimant une nature à la fois réaliste et idyllique. Les oeuvres datant du 18ème siècle tiennent une place capitale dans l’exposition, véritable âge d’or de la peinture de paysage. Mais au-delà de cette période dorée où la nature prend le rôle de premier sujet, le commissaire de l’exposition, Philippe Büttner, nous invite à regarder plus loin et à découvrir des paysages du début de la modernité, réalisés par des noms aussi évocateurs que celui de Claude Monet et Vincent Van Gogh… Et si on allait prendre l’air au musée ?

Paysages, Lieux de peinture, du 17 juillet au 8 novembre 2020, Kunsthaus Zürich, Heimplatz 1, 8001 Zürich, www.kunsthaus.ch/fr/