Quand la mode se démocratise

©Getty Images

Les hautes sphères de la mode, les défilés, les présentations, la découverte des nouvelles collections, ont toujours été réservés à une certaine élite, gardant à distance de ces événements mondains le commun des mortels. Les fashion weeks restent sans aucun doute l’un des événements les plus inaccessibles, où seul un carton d’invitation vous permettra de passer les portes de ces lieux de choix et de découvrir ce que les créateurs ont concocté pour la nouvelle saison. Et pourtant cette année les amoureux du vêtement sans pédigrée doré ont pour la première fois eu la chance de pousser ces portes et de découvrir les collections de trois designers. À l’origine de cette opportunité, un nouveau programme mis en place lors de la semaine de la mode de Londres qui a permis à des passionnés comme vous et moi de participer à cet événement majeur qui rythme le monde de la mode, faisant défiler les saisons avec style. Coup d’œil sur un monde de privilégiés. 

La mode, le privilège de l’élite

Et si la foule pouvait se mêler au gratin ? C’est l’idée qu’eut le British Council of Fashion pour la semaine de la mode londonienne de cet automne, ouvrant les portes de trois défilés aux curieux et autres amoureux des tendances. Ce milieu élitiste par excellence tente alors de se démocratiser, s’inscrivant à la perfection dans l’idée de « positive fashion » où la discrimination tant au niveau du choix des modèles que de la confidentialité de ce milieu se voit de plus en plus malmenée. Cet univers, depuis toujours très sectaire, comme en témoigne des époques telles que celle de l’âge d’or de la cour de France où seule la noblesse pouvait prétendre aux tenues du moment, n’a fait qu’enfoncer le clou ces dernières années. Toujours plus élitiste, proposant des collections de prêt-à-porter aux prix mirobolants, la majorité de la population s’est retrouvée sur le banc de touche. Le défilé en est très certainement l’une des preuves les plus flagrantes. Pour prétendre y assister être bien habillé est loin de suffire. Les grands noms du cinéma, de la musique, bien évidemment de la mode, mais aussi maintenant les bloggeuses au succès grandissant, sont bien les seuls à accéder à cet univers de luxe et de beauté. Le commun des mortels se voit lui réduit à regarder leur rediffusion sur le site de la marque, ou alors à feuilleter les looks dans les magazines à l’image de Vogue ou Numéro. Une distance indéniable s’est alors établie entre le prêt-à-porter de luxe et le peuple, cultivée depuis des siècles, faisant de ce domaine l’un des plus inaccessibles. Enfin, jusqu’à la dernière fashion week de Londres.

C’était il y a quelques semaines, dans la capitale britannique. Trois designers ouvraient leurs portes à la foule de passionnés traditionnellement laissés sur le carreau, proposant ainsi une approche inédite de ces lieux si confidentiels. Derrière cette initiative nous retrouvons la présidente du British Council of Fashion, Stephanie Phair, désireuse d’offrir une expérience à un public depuis trop longtemps gardé à distance. Et pourtant cette évolution est vue comme nécessaire par la présidente qui argumente que les réseaux sociaux rendent les défilés de plus en plus accessibles, et que la nouvelle génération ne veut plus se contenter d’être spectatrice de ce monde, elle veut y participer activement. Un rêve rendu possible par cette initiative qui proposait de découvrir une collection proche de ce public : celle d’Alexa Chung.

©Vogue

Une figure de proue, Alexa Chung

En cette saison Alexa Chung, mannequin, présentatrice télévision, mais par dessus tout muse et icône mode de notre génération, faisait ses premiers pas sur les podiums en temps que créatrice. Figure du street style, pour son premier défilé elle s’associa alors au British Council of Fashion à l’initiative de ces nouvelles présentations publiques. Après deux saisons, sa marque qu’elle crée en 2017 sur le système du see-now buy-now, où le vêtement se voit immédiatement disponible et mis à la vente, la jeune créatrice londonienne participe pour la première fois en temps que designer à une fashion week. Pour cette première collection elle imagine un aéroport, à la fin des années 1970, où les passagers emprunteraient tous des destinations différentes, plus ou moins ensoleillées, mais toujours avec classe et décontraction. Une association qui défini à la perfection son style mélangeant des pièces masculines à une garde-robe de jeune fille modèle des années 1970 pour créer des looks élégants mais sans prétention. Sur le podium, les mannequins arboraient de longues robes aux motifs typiques des seventies, des mocassins dans lesquels s’étaient glissées de longues chaussettes blanches, ou encore un élément de style majeur pour la jeune britannique, le jean, associé à des motifs vintage et des blouses aux allures de première de la classe. Alexa Chung nous rappelle alors avec brio à quel point la mode est un cycle éternel qui paradoxalement ne cesse de se renouveler. Si le défilé était ouvert au public, les looks proposés par la créatrice l’étaient aussi. Des tenues de la vie réelle, un style du quotidien pimenté par un retour en arrière. Elle nous fait voyager à l’âge d’or des Rolling Stones et des Beatles, mettant en action les photos de ces stars aux looks emblématiques lors de cette présentation, nous transportant dans un aéroport chic du siècle dernier. La présentation de cette collection devient le symbole de cette démocratisation. Alexa Chung, anonyme s’étant faite remarquée, ayant réussi à atteindre les milieux les plus prisés de cet univers, retourne dans le passé, proposant au public actuel ce qu’elle aurait rêvé de faire avant la célébrité : assister à la fashion week et pouvoir tout simplement rêver. La jeune britannique se présente alors comme la parfaite figure de proue de ce mouvement d’ouverture de la mode, et gratifie la foule d’inconnus au bataillon d’une magnifique collection digne des plus grands designers.

 

Le défilé House of Holland, ©Reuters

Une démocratisation presque parfaite

Si Alexa Chung fut placée au centre de l’attention de ces événements ouverts au public, n’oublions pas pour autant les autres attractions placées au cœur de cette initiative du British Council of Fashion. Deux autres créateurs regroupant leurs défilés pour l’occasion donnèrent également des présentations publiques, les designers de House of Holland et de Self Portrait. En plus de ces trois shows ouvrant leurs portes à la foule, une exposition portant sur l’histoire de House of Holland, un pop-up store proposant les modèles portés quelques instants auparavant par les mannequins, ainsi que diverses conférences données par des figures majeures du monde de la mode londonienne étaient proposés aux détenteurs du ticket doré. Trop beau pour être vrai ? Peut-être bien. En effet, participer à ces événements dits publics à un prix, apposant une barrière bien réelle à leur démocratisation. Pour y assister, profiter de l’exposition et boire les paroles de gourous du milieu il fallait compter 135£ – soit 167.-, faisant de cette ouverture au public un juteux business. Mais nombreux furent ceux qui n’hésitèrent pas à dégainer leur porte-monnaie pour vivre cette expérience depuis longtemps perçue comme lointaine et inatteignable. Ce monde si confidentiel entrouvre alors ses portes, laissant le commun des mortels participer à ce monde glamour. Mais la démocratisation de cet univers reste encore minime, et comme toujours dans la mode, la contribution financière, elle, nécessaire. Une ouverture au monde extérieur timide mais qui témoigne d’un changement majeur dans cet univers unique en son genre, enfin prêt à s’ouvrir à son réel public.