Mourir Jeune Music (MJM): La vitalité à l’état brut

Gual Sheytan single art work

Un label au nom provocateur, des artistes « marginaux »: il n’en faudrait pas plus pour que certains/nes y collent des étiquettes de toutes sortes. La catégorisation a la vie dure. Tant pis. Les autres découvriront un label qui s’emploie à faire bouger les lignes (de vie). La fougue de la jeunesse au service d’une énergie créatrice. C’est plutôt ça l’équation MJM. Avec comme résultat une musique protéiforme évitant tous les cloisonnements.

Mourir Jeune Music, qu’est-ce que c’est ? Comment ce label a-t-il été créé et quelle est sa ligne ? Si je voulais signer dessus en tant que joueur de hautbois, est-ce que les portes me seraient ouvertes?

Mourir Jeune Music est un label de production et édition musicale indépendant, basé à Genève. Pour commencer, je suis Goon Kid (autrefois connu sous le nom de Kid Rolex), DJ, producteur de beats et de musique électronique, et maintenant manager de Mourir Jeune Music. J’ai commencé la production musicale à la fin des années 90, notamment au sein du label Villa Magica de 2002 à 2008. À cette époque, je me situais dans la première vague d’artistes qui mélangeaient rap et électro dans leurs productions et leurs DJ mixes, avec une influence du rap du Sud des États-Unis: en gros, l’ère du mashup et de Myspace. En 2008, des déboires légaux avec les représentants de la firme Rolex m’ont mis un gros coup dans l’aile, et m’ont amené à mettre la musique en standby quelque temps. Petite ellipse : il y a trois ans environ, Zippy (par l’entremise de Saphir le Joaillier) et Sournoise Boy sont venus me solliciter, simultanément et indépendamment, pour me proposer de travailler avec eux. Ça tombait bien, parce que je venais de perdre mon job et que j’avais donc un peu de temps libre. Résultat : ils ont réussi à me convaincre de me remettre à la musique après mon hiatus.

À partir de là, on s’est lancé dans une expérience de collaboration, mais aussi de coaching artistique, avec l’objectif de créer de la musique underground originale et orientée vers le futur. On a mis près de deux ans à finir les deux premiers EPs, parce qu’on a pris le temps de développer une méthode de travail exigeante, qui nous pousse à dépasser nos limites autant au niveau technique que créatif et conceptuel. Une fois les deux EPs terminés, c’était comme sortir de la Salle du Temps (© Akira Toriyama) après des mois et des mois d’entraînement: on était tellement chaud qu’on a posé 15 nouveaux titres en trois mois, sur lesquels on a invité plein de gens, ce qui a donné notre album collectif « ASTRONEF ». C’est aussi à cette occasion qu’on a commencé à recruter d’autres artistes, au fil des collaborations.

Goon Kid, ©Gabriel Balagué

La ligne du label, c’est de proposer à des artistes un peu marginaux et parfois aussi un peu cassés par la vie (comme on l’est tous) de sublimer leur talent et de l’amener à un autre niveau. Côté public, on veut proposer des alternatives à un paysage musical de plus en plus aseptisé et formaté, et où la prise de risque est découragée plutôt que valorisée. En privilégiant l’originalité et l’innovation, on espère s’éviter les pièges de l’émulation anonyme et du passéisme. Du coup, pour ton hypothétique projet de hautbois, ça dépend: je voudrais commencer à publier de la musique instrumentale aussi, donc si le projet est frais, pourquoi pas!  Mais il faudrait que tu sois prêt à passer par une sorte de marathon Iron Man de la musique qui pourrait potentiellement remettre en question tout ton système de valeurs… Ce n’est pas pour tout le monde !

 

Le nom du label est plutôt nihiliste, j’espère que vos artistes ne sont pas superstitieux… Est-ce qu’il y a une influence du club des 27 derrière? Et vous n’avez pas peur d’avoir des problèmes avec certaines associations de prévention?

Alors oui, l’idée du nom était bien de donner un côté punk et provocateur à notre concept, en l’associant à un tabou sociétal très fort, la mort associée à la jeunesse. Parce que ce qui gêne percute, et parce que ça nous tient à cœur de nous positionner par rapport à la frilosité qui règne dans le Zeitgeist actuel, et à la censure qui en résulte. Cela dit, il y a plusieurs interprétations possibles: mourir jeune n’est pas seulement synonyme de brûler la vie par les deux bouts, ça évoque aussi l’idée de rester jeune et libre dans son âme et son esprit, et de le rester jusqu’au bout de sa vie. C’est notre credo, il est à mon avis très clair si on prend le temps d’écouter notre musique. Certains le comprennent tout de suite, d’autres ne voient que l’interprétation littérale, et y ajoutent leur symbolisme: je trouve assez intéressant de laisser cette liberté de lecture aux gens. Et puis quelque part, ça nous permet de faire le tri.

 

Parlez-nous du travail concret, comment se déroule l’intégration au sein du label, le suivi des artistes?

Pour la deuxième volée de recrues, soit Segen, Abi2spee et V&W (Vinnie et Ciflow), les choses ont été un peu différentes qu’avec la première: d’abord on ne se connaissait pas de réputation depuis des années, comme c’était le cas avec Zippy et Sournoise Boy: on s’est rencontrés en studio, pour réaliser « ASTRONEF » ensemble. Ensuite, mon but était à ce moment-là de trouver comment appliquer les méthodes et outils développés avec les autres à ces nouvelles personnalités. On a donc pris les choses une à la fois: trouver les beats appropriés au projet, adapter la méthode de travail, etc. On a dû apprendre à saisir la vision et le potentiel de l’autre, pour comprendre comment l’appliquer à notre projet personnel afin qu’il devienne un projet commun. C’est un travail long et coûteux, que tout le monde n’est pas capable de faire: mais à la fin, c’est extrêmement satisfaisant, on a tous grandi au passage, et le résultat est là pour le montrer. Notre collaboration est aussi devenue plus fluide et naturelle avec le temps.

Astronef Album Art work

Qui sont-ils/elles ? Je me rappelle avoir écouté Segen sur votre page qui a une belle voix et un concept « chant urbain » plutôt novateur.

Zippy est arrivé dans le game pendant la deuxième vague du rap francophone tendant vers l’électro, celle de l’époque du début de la grime et du Soundcloud rap. Très prolifique, il compte déjà plusieurs albums à son actif, en solo et avec son premier collectif, Chimical Droogies. Il a déjà collaboré avec quasiment tous les rappeurs de la région genevoise, sur plusieurs générations. Il est aussi membre du collectif de rap alternatif L’Axe Du Mal. En plus de ses apparitions sur « ASTRONEF », on peut écouter son EP « Multivers » sur toutes les plateformes, et voir son clip « Appelle-Moi Zippy » sur notre chaîne YouTube. Parallèlement à son travail avec MJM, il a sorti un projet avec Mikilabellevie en 2019, « Transat Store ».

Sournoise Boy est un rappeur genevois qui est également comédien de théâtre. Ancré dans la scène alternative (Il est aussi membre de L’Axe Du Mal), il propose un rap décalé et provocateur, et change régulièrement de nom de scène (Anklature, Takeshi Mohamed,…). Il a quitté Mourir Jeune Music après la sortie de son EP « Intérieur Nuit » (disponible partout). En plus de cet album et de ses nombreuses collaborations sur « ASTRONEF », il nous a laissé un très beau clip, « Comme De L’Eau ».

Segen est une artiste vocale genevoise avec une expérience variée et atypique: d’abord chanteuse lyrique, elle est ensuite passée par la folk et le piano-voix, pour s’essayer au R&B et à la Soul dans son projet avec MJM. Son EP « Incipit » va sortir le 6 juin, on peut déjà voir son clip « gual sheytan » sur notre chaîne YouTube (single bientôt disponible). Un deuxième single, « Petite Mort », sera disponible le 9 mai.

Abi2spee est un artiste genevois, déjà actif au sein du collectif CLR. Proche de la nébuleuse Rive Magenta, il a plusieurs projets et collaborations sous l’aile. Oscillant entre le rap de rue et le rap festif, il propose une musique à la fois rafraîchissante et puissante, où la mélodie et la punchline règnent. On peut écouter ses deux derniers projets, « Wavyfunkysummerdaysauquartier » (2019) avec Conanlegrosbarbare, et « Roi Des Rats » (2020), avec le label genevois Milfranc Suisse. Une série de singles de son projet avec MJM sont prévus pour cet été.

V&W est un duo d’artistes de la région franco-genevoise, Vinnie et CIflow, également actifs au sein du collectif/label VDRT. Chargés d’une énergie incroyable, ils s’opposent et se complémentent comme le rouge et le bleu, l’électricité et l’eau, ou encore Sonic et Knuckles. On peut écouter leur dernière collaboration avec MiréMiré, « CHIRAC », sur le Soundcloud de VDRT.

Pour finir, la production: en plus de mes beats, pour l’instant, les artistes MJM ont accès à des prods exclusives de DJ Raze (Genève), DONK€Y (Lausanne), Monsieur Connard (Vichy), Conanlegrosbarbare (Fribourg) et Mikilabellevie (Meyrin).

 

Le logo est super bien vu. Les lettres « M », « J », « M » qui forment ensemble une onde sonore, ça ne pouvait pas mieux tomber. Devons-nous sa confection à l’artiste Rylsee ?

Rylsee est bien un proche de plusieurs artistes du label (il a d’ailleurs contribué à la cover du EP de Sournoise Boy, « Intérieur Nuit »), mais ce n’est pas lui qui a fait le logo. À l’origine, c’est une idée de deux amies artistes, Céline Dulord et Laura Richoz-Grosjean. Je les avais sollicitées parce que je peinais à trouver un concept qui soit parlant: à la fois futuriste et élégant, tout en restant clairement musical. Mes premiers jets ressemblaient à des logos de centres d’arts martiaux! On a donc repris leur concept pour le développer longuement avec Zippy (qui est graphiste de formation), et on a fini par arriver à ce résultat étonnant. C’était à l’image de notre processus musical, en somme.

Evolution Logo

Je suppose que le confinement a ralenti vos activités…qu’en est-il des projets déjà sortis et ceux à venir?

C’est sûr qu’on a dû revoir notre stratégie, surtout parce qu’on espérait commencer à investir les salles de concert et les festivals cette année… On a aussi plusieurs tournages de clips qui ont dû être reportés. On s’est donc tourné vers une stratégie de singles pour développer notre visibilité sur les plateformes de streaming, notamment Spotify.

Les projets à venir sont le premier EP de Segen, « Incipit » (6 juin), qui sera précédé de deux singles, puis une série de singles d’Abi2spee et de V&W durant l’été. Zippy nous prépare aussi de nouvelles choses, et on va commencer la production de nouveaux contenus, comme des DJ mixes, des événements live en ligne, des interviews, des remixes, et plein d’autres choses encore! À suivre sur notre site et nos réseaux !

www.mourirjeunemusic.com