Monsieur Art brut!

Jean Dubuffet devant un mur de graffiti

© Archives Fondation Dubuffet, Paris / photo, John Craven

Peintre, sculpteur et plasticien, initiateur de l’art brut, on ne présente plus Jean Dubuffet. Devenu artiste sur le tard au début des années 1940, cet ancien négociant en vins prend un malin plaisir à maltraiter, à enlaidir et à aplatir ses illustres modèles, qu’il croque comme des paysages. Son dessein artistique? Mettre sens dessus dessous les conventions artistiques et à subvertir les systèmes de valeur! Rebelle aux préceptes académiques, il fera cavalier seul pour bousculer le spectateur, l’amener à questionner son propre regard! Incisif de bout en bout, ce parfait trublion n’en fit qu’à sa tête, sculpta, se dispersa, signa mais persista en s’armant de matières et de mélanges fertiles, maniant comme personne d’autre un dessin naïf ébloui de lumière.  Afin d’aborder dans sa totalité ce fascinant artiste prolifique et pluriel, le Musée d’ethnographie de Genève (MEG) propose jusqu’au 28 février 2021« Jean Dubuffet, un barbare en Europe ». Une expo qui convie son public à un parcours ludique pour les enfants, des visites commentées, des balade hors les murs, des rencontres avec des artistes, chercheurs et chercheuses, d’ateliers plastiques ou vocaux… de quoi expérimenter Dubuffet de manière débridée! 

Jean Dubuffet (1901-1985) s’est toujours distingué par son profil d’insoumis dans le monde de l’art. Tout d’abord, parce que né en 1901, il a 43 ans lorsqu’il bénéficie de sa première exposition personnelle. Ce qui est relativement tard. Avant cela, il est marchand de vins. Passionné autant de musique que de littérature et de peinture, il n’entend point se tourner les pouces sans marquer de sa forte présence un art qui, au lendemain de la Première Guerre mondiale, peine, selon lui, à trouver son identité, réagissant a contrario aux acquis audacieux du début du siècle. Ainsi, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il crée l’Art brut. Et l’anecdote est locale, puisque c’est à Genève en 1945 en compagnie de l’architecte Le Corbusier et de l’écrivain Jean Paulhan que l’expression va voir le jour. Dans la Cité de Calvin, il rencontre Eugène Pittard, directeur du MEG. L’anthropologue lui fait découvrir les masques pour le Tschäggättä du Lötschental puis l’introduit au médecin aliéniste genevois Charles Ladame, qui lui fera découvrir ce qu’il décidera d’appeler lors de son séjour, l’Art brut. Il paraissait évident qu’aujourd’hui le MEG propose une exposition sur cette visite déterminante dans le parcours de cet artiste décrié par ses contemporains.

Ontogénèse / Jean Dubuffet 1974-1975 Peinture vinylique sur panneau stratifié / Photo :© IVAM, Juan García Rosell  © 2020, ProLitteris, Zurich

Bon courage / Jean Dubuffet / 24 mai 1982 / © Fondation Dubuffet / 2020, ProLitteris, Zurich

D’abord dévoilée en 2019 au Mucem (Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée) de Marseille puis à l’IVAM (Institut d’art moderne de Valence, Espagne), l’exposition « Jean Dubuffet, un barbare en Europe » présente 300 œuvres issues des plus grandes collections françaises et européennes : le Centre Pompidou, le musée national d’art moderne et la Fondation Dubuffet à Paris. A travers ses explorations en Afrique, en Océanie, chez les enfants, dans les milieux psychiatriques au Sahara et même dans le métro parisien, Dubuffet relative les notions de proche et de lointain. L’art supposé « primitif » et l’idéologie qui le sous-tend, le primitivisme, sont nettement remis en cause.  Il est plutôt rare de voir concentré en un seul événement un artiste français à la découverte de l’esprit suisse ; il fallait pour cela un marginal, Dubuffet, porté par l’audace des directeurs de musées. On la dépeint en barbare en Europe, parce qu’il a essayé de remettre en cause l’entendement qu’on avait jusqu’alors de l’art et des manières de fonctionner autour de la question de l’art à la fin de la guerre.

Banc salon / Jean Dubuffet / 1970 / © Fondation Dubuffet / 2020, ProLitteris, Zurich

Mais ces oeuvres – qui révoquent certes la perspective et le modèle traditionnel de l’époque – sont surtout des antidotes aux heures sombres des années 40. On se régale de ces petits personnages grotesques et rigolards, campés de manière sommaire et enfantine. Autant de charges joyeuses contre la culture bourgeoise emportée par la Seconde Guerre mondiale – le conflit armé planétaire le plus coûteux en vies humaines de toute l’histoire de l’humanité. Exit les paysages sublimes ou les charmantes vues pastorales. Tout ce qui est exceptionnel est rigoureusement banni de son registre. Car c’est de banalité dont Jean Dubuffet était féru convaincu que l’homme pouvait s’enivrer de tout, pour peu qu’il soit troublé, bousculé. Sacré Dubuffet! 

Raisons complexes / Jean Dubuffet/ Mars 1952 / © 2020, ProLitteris, Zurich

Le géologue / Jean Dubuffet / Décembre 1950 / © Fondation Gandur pour l’art, Genève / photo, Sandra Pointet

Jean Dubuffet, un barbare en Europe
Jusqu’au 28 février 2021

MEG
Boulevard Carl-Vogt 65, 1205 Genève
www.ville-ge.ch/meg/