Méditations lacustres

Emilija Škarnulytė-Sunken
©Andrea Rossett

Née il y a près de vingt ans, la Fondation Bally, portée par la marque suisse emblématique du monde de la mode, voyait enfin en 2023 son premier écrin prendre forme. Active dans une large variété de domaines créatifs, avec une attention particulière portée à l’environnement, elle inaugure au début de l’été son premier lieu dans une villa d’exception sur les rives du lac de Lugano. Cette ouverture était l’occasion de présenter au public sa première exposition, intitulée Un Lac Inconnu. Cette dernière est à découvrir jusqu’au 24 septembre prochain, l’occasion de prolonger encore un peu l’été en faisant un détour méditatif et contemplatif par le Tessin.

C’est une histoire qui s’écrit depuis 17 ans entre le chausseur suisse et la culture. Entremêlées dans une relation de soutien, les deux entités se retrouvent pour la première fois dans un espace concret avec l’ouverture en mai dernier de la Villa Heleneum. Un projet qui se projette dans le futur, la Fondation ayant loué la villa à la ville de Lugano pour les quinze années à venir. C’est alors dans ce cadre idyllique que se révèle ce nouveau lieu culturel installé en Tessin. Sur les bords du lac de Lugano, l’imposante demeure rose aux escaliers de pierre se révèle dans un paysage alpin entre eau, végétation et montagne. Bâtie dans les années 1930 pour la danseuse parisienne Hélène Bieber, également mécène des ateliers fréquentés par un certain Picasso, sa nouvelle fonction retourne à ses racines philanthropiques. Se focalisant sur l’art contemporain, à travers le prisme de l’innovation et sans jamais laisser de côté la question de l’écologie, la fondation prend un nouvel élan suite à l’inauguration de son espace. Une ouverture tout en discrétion qui est marquée par une exposition pensée par la nouvelle directrice de la fondation depuis 2022, et ancienne programmatrice de la Villa Médicis de Rome, Vittoria Matarrese. 

Mathias Bensimon, Le lac intérieur, 2023, Un Lac Inconnu, Bally Foundation, Lugano 2023 © Andrea Rossetti

Le Lac inconnu vient alors lancer la programmation de la fondation avec une première exposition venant directement relier la géographie du lieu aux œuvres exposées. Inspiré par son environnement, le titre de ce show inaugural de la Villa Heleneum est emprunté à Marcel Proust utilisant l’expression pour évoquer l’exploration de l’âme humaine, et plus généralement l’inconscient. Le Lac inconnu réunit la nature environnante et notre imagination, rassemblant des œuvres d’une vingtaine d’artistes internationaux nous entraînant dans une rêverie en adéquation avec l’environnement de la fondation. Un caractère organique se développe alors à travers les salles, jouant notamment sur l’élément de l’eau venant faire écho au lac sur lequel s’ouvre la villa. Véritable fil conducteur de l’exposition, elle se retrouve dans nombre de créations sous diverses formes, souvent emprunte de poésie. Parmi les projets que l’on retient de ce show inaugural, l’inscription Close your eyes qui accueille le visiteur sur une baie vitrée donnant sur le lac. Réalisée par Haim Steinbach, elle vient directement faire écho au double sens du titre de l’exposition, nous invitant l’espace d’un instant à fermer les yeux sur ce paysage naturel s’offrant à nous pour nous plonger dans notre paysage intérieur. En avançant dans l’espace la nature des pièces évolue, les médiums s’entrecroisent. On pense notamment à l’œuvre vidéo d’Emilija Škarnulytė, Sunken Cities qui vient s’inscrire dans le commentaire écologique si cher à la fondation. À travers ce projet, l’artiste lituanienne nous entraîne dans les fonds marins de la baie de Naples, une sirène archéologue se faisant notre guide dans ce monde immergé. Nous découvrons alors les ruines d’une civilisation disparue, d’une cité perdue dont persistent encore les sculptures et mosaïques. Une exploration méditative qui fait naître une angoisse certaine face à ce monde vide de vie à l’heure des changements climatiques dramatiques rendant l’avenir incertain. 

Haim Steinbach, Close your eyes, 2003, Un Lac Inconnu, Bally Foundation, Lugano, 2023 © Andrea Rossetti

La contemplation et la méditation semblent se faire leitmotivs de l’exposition, chaque œuvre se dévoilant à celui qui prendra le temps. On se laisse alors porter de salle en salle, découvrant tantôt les masques fantomatiques et larmoyants d’Adélaïde Feriot, puis pénétrant dans un univers éclairé par Unseen (Daylight) de la canadienne Angela Bulloch qui vient nous interroger sur les similitudes, ou oppositions, entre nature et technologie. Parmi les autres pièces présentées dans Un Lac inconnu, on retrouve les fleurs monumentales et colorées du duo Petrit Halilaj & Álvaro Urbano, les peintures sur soie découpées puis tissées de la jeune artiste Elise Peroi, mais aussi la fresque de Mathias Bensimo, réalisée sur place dans la Villa, et portant le même nom que l’exposition. Née de la contemplation du lac de Lugano par l’artiste, cette œuvre in situ dans laquelle le visiteur est invité à pénétrer et à s’immerger rappelle les impressions de Monet, sa peinture n’étant pas figurative mais désirant à l’inverse représenter la lumière et la surface de l’eau. Une invitation de plus à l’évasion par l’esprit et la nature.

Rebecca Horn, Belle du vent, 2003, Un Lac Inconnu, Bally Foundation, Lugano, 2023 © Andrea Rossetti

 

Le Lac Inconnu
Jusqu’au 24 septembre 2023
Fondation Bally
Villa Heleneum
Via Cortivo 24, 6976 Lugano
www.ballyfoundation.ch