LOST IN TRAPLANTA: Trap et strip clubs sous l’œil d’un lyonnais

Mathieu Rochet à Atlanta
Reformer le groupe Outkast pour regagner le cœur d’une fille? Voilà l’idée géniale à la base d’une mini-websérie Arte mélangeant réalité et fiction. Ou comment Larry, personnage paumé en quête du duo mythique, s’enfonce dans les méandres d’Atlanta et découvre la Trap. Une ramification sudiste du rap devenue bande son de l’économie parallèle et des strip clubs de la ville. Et que l’on ne s’y trompe pas: sous ses airs légers et divertissants, la série propose une mine d’informations sur la scène locale et ses acteurs. A l’image de son créateur, Mathieu Rochet, ex-moitié de Gasface [binôme, aujourd’hui séparé, formé de Nicolas Venancio et Mathieu lui-même. Ils débutent dans la presse écrite en 2006 avec un magazine papier portant le même nom]. Déconneur, rigolard, mais dès qu’il s’agit de s’y mettre: premier sur le taff. Un entretien effectué par mails interposés, quelques jours après la projection de la série au GIFF (Geneva International Film Festival).
Salut Mathieu, comment ça va? Arte c’est super, mais en Suisse on a pas accès à ta mini-série depuis leur site. Tu veux pas le leur dire? Du coup il reste youtube, mais elle est sous-titrée en allemand. On parle plus de bâtons dans les roues-là, mais de barres de strip clubs…
Salut, comment ça vous n’avez pas accès ?!? Je savais pas… De toute façon vous avez mieux que ça: vous avez le légendaire DJ Sebb, à qui on doit le générique de « Traplanta ». J’espère que tous les Suisses le traitent comme un Roi et ne lui laissent jamais régler la note au bar.
En parlant de duo mythique, vous étiez pas mal non plus Gasface…votre rencontre à la radio, les battles de SDF…Et puis en fouillant un peu les internet, je suis tombé sur ça sur le site de Yard: « Pharrell Williams leur a crié dessus, Guru les a détestés, Isaac Hayes a essayé de les semer en roulant à tombeau ouvert sur une route de montagne en Suisse… rien n’y fait. » Qu’est-ce qu’il s’est passé? A toi de construire des ponts pour recoller les morceaux, c’est à n’y rien comprendre!
Un jour, Pharrell a essayé de nous gronder, c’est vrai…C’était surtout pour faire rire ses musiciens alors on l’a regardé comme on regarde un mec pas drôle, genre « c’est bon, t’as fini? » et il est redevenu normal, comme si de rien n’était. Ça arrive que les rappeurs cainris testent un peu, quand t’es européen, pour voir si tu les autorises à te malmener…Une fois Method Man nous a fait un délire du genre. On s’est présenté en lui montrant la couv’ du n°2 de Gasface, avec son camarade Ghostface Killah dessus, et il devenu un peu mauvais, genre jaloux. L’interview démarre et tu sens qu’il veut nous faire trimer, il veut qu’on le supplie de développer chaque réponse. On l’a regardé, on s’est regardé, et on s’est cassé. On l’a laissé là, avec ce que les collégiens appellent la hess. Deux-trois ans après on l’a revu à New York, il se rappelait évidemment de rien et on a fait une belle interview, en marge de « New York Minute » [Mini-série de Gasface sortie en 2015].
L’histoire avec Guru, ça remonte à l’époque maudite où il trainait avec Solar, un producteur nul qui lui avait retourné le cerveau et l’avait éloigné de DJ Premier. Guru était pénible, il racontait des trucs genre « j’ai inventé Premier, j’ai inventé Jeru », il se moquait du fait que Premier ne savait pas utiliser une table de mixage la première fois qu’il s’est retrouvé en studio. Il disait des vieux trucs pour le diminuer… J’arrivais rien à en tirer, alors perdu pour perdu, je l’ai taquiné exprès sur Premier qui s’était quand même bien rattrapé depuis, hein. Solar a voulu qu’on arrête l’interview, que je parte, mais on était dans un van, sur l’autoroute, à 110 km/h. Le reste du voyage a été très calme, du coup.
Isaac Hayes, un autre délire: on l’a coursé après un show à Montreux, mais il était crevé et on a été très heureux de croiser Steve Cropper, un des piliers de Stax Records. Il nous raconté comment il a produit « Dock of the Bay » d’Otis Redding, dans les jours qui ont suivi la mort du chanteur. Otis n’avait enregistré que ses voix et laissé aucune indication. Son ami a fini le disque tout seul et Otis a eu son 1er disque d’or une fois mort… On a rattrapé Isaac Hayes deux jours plus tard, sur la même tournée. On ne savait pas à quel hôtel il créchait, donc on a suivi sa Merco après le show. On a bombé comme dans « Bullitt », mais avec une Twingo…A l’hôtel, on s’est infiltré comme des espions du Mossad dans le Bureau des Légendes et on est rentré dans sa chambre en même temps que le room service. Il a eu l’air de trouver ça chelou mais il nous a gardés pour faire la conversation en mangeant son dîner. Sympa. Au bout d’une heure, quelqu’un toque à sa porte : c’était notre copain Bruno (aujourd’hui photographe, à l’époque juste copain) qu’on avait peut-être oublié en route. On était aussi surpris qu’Isaac, qui était en train de raconter qu’il avait la même voix depuis le CM2, bref. On termine, on sort, et là Bruno dit: « j’arrive pas à croire que je viens de rencontrer Barry White! »
Vous débutez par l’écrit avec le magazine en 2006. L’aventure s’arrête au 6ème numéro et son titre fleuri: « Faut-il avoir peur de ces enculés de blancs? » Vous avez rencontré des problèmes après ça?
Ouais, le syndicat des kiosquiers a lancé un boycott national. Le conseil des ministres a même bossé sur notre cas pour savoir s’il fallait interdire ce titre, ce qui n’était pas arrivé depuis 1969, depuis « Le Bal Tragique à Colombey » de la team Charlie Hebdo… Je pense qu’au bout de 8 secondes, ils ont tous compris que c’était une blague, qu’on était pas des pionniers de ce fameux racisme anti-blanc dont il est beaucoup question aujourd’hui en France, et que j’ai moi-même subi une fois en 1995 en me faisant refouler d’une fête de L’Aïd sous prétexte que j’avais des baskets alors qu’il fallait des air max. Je rigole bien sûr: tout le monde avait des chaussures de ville et j’étais le seul con en Nike. J’ai pratiquement été à l’origine du mot Starfallah. C’était à Neuville-sur-Saône et j’espère qu’il y aura un jour un mémorial contre ce racisme que j’ai subi. Bon on est à l’écrit, mais j’espère qu’on sent que je rigole: je ne voudrais pas être re-incompris et re-boycotté.
En parlant du magazine, vous me rappelez beaucoup l’état d’esprit insolent des Get Busy de Sear de la fin de années nonante. Influences, connaissance mutuelle?
Oui, Get Busy c’est bien le seul magazine dans lequel on se reconnaissait en tant que fan. Les autres étaient très sérieux, ils écrivaient en s’appliquant pour avoir le respect des adultes, on aurait dit. Alors que Sear était très marrant, très libre, tout en étant pointu. Le mag’ qu’il avait fait avec les NTM, « Authentik », était très cool aussi. Niveau culture, il a fait autant qu’un NTM ou I am, pour moi. C’est pas parce qu’on aime le Rap qu’on est obligé de rapper. C’est Sear qui a compris ça le premier.
Bon, revenons à nos moutons. Ce qui est bien, c’est que l’on apprend plein de trucs en regardant la série. Que l’on soit connaisseur ou néophyte. C’était une volonté de ta part de parler au plus grand nombre? Qui plus est, musicalement parlant, la série amène le débat « Rap VS Trap » [Discussion sans fin dans le milieu du rap, à mettre probablement en lien avec le conflit de générations]. Comment te positionnes-tu là-dessus?
Je me suis positionné en esquivant ce conflit, parce que j’avais pas du tout envie de cette vibe, ni d’être le genre de mec qui dit ce qu’il faut kiffer et ce qu’il faut pas kiffer. Pas envie que la série provoque cette discussion sur le « vrai hip hop ». Bien sûr que la Trap c’est horrible à 90%, c’est même la pire des musiques si tu veux… Mais c’est les 10% restants qui en font la meilleure des musiques. Ce que je dis s’applique plus largement au Rap: c’est la pire et la meilleure des musiques. C’est la musique où il y a le plus de featuring, celle où y a le plus de beef aussi, celle où y a le plus d’amour entre les artistes et le plus de haine. Je trouve que la Trap c’est une musique qu’on connaît mal, qu’on croit comprendre parce qu’on la voit partout, mais dont on sait assez peu ce qui l’a nourrie et fait éclore. J’aimerais bien faire pareil avec le Gangsta Rap à LA et le Reggae à Kingston, parce que c’est des musiques tellement phénoménales, tellement évidentes, qu’on a un peu oublié de se demander comment elles sont arrivées là, et pas ailleurs.
Le côté très drôle de la série est en partie dû à Larry [Kody Kim, humoriste et comédien belge] et son air ingénu! Comment s’est faite la rencontre?
J’ai cherché Larry pendant plus d’un an! J’ai fait des tonnes de casting, et finalement je l’ai « trouvé » quand j’étais en vacances en Belgique. J’avais vu sa vidéo où il imite JCVD à la télé belge, j’avais adoré et je lui ai lancé un mail, sans trop y croire. C’est lui qui a répondu, il m’a donné un rdv dans un hôtel de luxe et puis, bah il est pas venu…Je me suis dit: c’est mal barré, t’as vraiment envie que tout repose sur un gars qui confond le mardi et le mercredi? Mais le lendemain on s’est vu, et je l’ai trouvé très sérieux, presque trop! Je me suis demandé si c’était le même mec?!? Mais « sérieux » c’est très bien, dans le fond, parce que de toute façon je savais son niveau de comédie…Du coup j’ai demandé à l’intégrer à la liste d’acteurs à caster, il est venu à Paris deux fois et il a tout cassé. C’était ouf parce que c’est exactement le mec que j’ai écrit, c’était comme trouver Cendrillon avec la pantoufle de verre. A la seconde où il a mis l’imper’, il n’y a plus jamais eu de doute. On s’est fait confiance, il m’a déçu zéro fois. Que des bonnes surprises.
Après être passé par le club Magic City [Strip club emblématique de la ville], pourrais-tu nous donner quelques conseils pour tipper correctement? Et as-tu testé une lap dance?
Ouais, plein de tests. C’est 10$ par chanson. Sans rigoler, ça m’a bien servi pour savoir quelles danseuses étaient sympas, qui causait bien, qui avait un point de vue intéressant sur le taf. On peut bien discuter pendant un lap dance, ça se fait. Bizarrement, c’est pas très sexuel comme endroit. Les meufs sont à poil, mais elles ont un tel maintien, une telle assurance que ça ne ressemble pas du tout à l’idée qu’on se fait de la nudité. Ce qui m’a frappé, c’est que les meufs sont l’égal des rappeurs là-bas: elles performent, elles ont autant d’argent et de followers. Quand un rappeur débarque, il hugge les meufs qu’il connaît exactement comme il saluerait un collègue, y aura jamais de main au cul, de trucs déplacés: rien qui ramène la meuf à sa nudité. Là je te dis mon impression. Mon taf c’est de présenter la culture comme elle est, pas de la juger ou d’en dire ce que je voudrais qu’elle soit.
Au cours de ta carrière, tu as souvent tourné dans des endroits très peu sûrs sur le papier. Comment ça s’est passé dans la vraie vie?
Toujours plutôt bien. Moi je cherche de la musique, alors je trouve toujours beaucoup de musique sur mon chemin. Ça serait différent si je cherchais des flingues ou des trucs craignos pour le frisson. La première fois que je suis allé dans le Bronx, c’était à 3h du mat’, dans une cave. C’était pour l’épisode 1 de New York Minute et j’étais certain d’y aller avec les bonnes personnes, pour les bonnes raisons… Après y a des gens craignos qui débarquent des fois en plein jour. A ATL[Atlanta], ça m’est arrivé de dire à l’équipe qu’il faut se casser en 5 sec sans me demander pourquoi. Le mot de passe, c’était « nom de code zinzin » ou « alerte zinzin ». C’est surtout pour les crackheads très agités qui peuvent faire tomber la caméra, ce genre de trucs. Les voleurs tu les vois moins venir, hein. A l’avant-dernier jour de tournage, on s’est fait casser un carreau du van alors qu’on filmait juste à côté. Moi j’étais tout près alors j’ai coursé le gars qui est monté dans une Nissan. J’ai tiré la poignée et heureusement c’était fermé! Les gars étaient tous masqués dans l’auto, je sais pas ce que j’aurais fait là-dedans… Les mecs ont piqué les chaussures de Larry! C’est le pire truc qui nous est arrivé, ex-aequo avec la fois où l’on s’est retrouvé dans un bar rétro/nazi en cherchant un spot pour jouer au billard…
A l’avenir, un autre docu-fiction sur la scène rap méconnue d’Oakland? ou tu partirais plutôt sur du Heavy Metal au Wisconsin?
Plutôt LA. J’étais un ado très G-Funk 😉
