Less is more, la mode de demain à réinventer

Les ateliers ©Yves Saint Laurent

Donatella Versace déclarait il y a quelques semaines : « Le monde tel que nous le connaissions est terminé ». Alors que la seule chose qui semblait éternelle dans le monde de la mode, son infernal calendrier rythmant les saisons de ses défilés, se devait elle aussi d’être stoppée, les designers et leurs maisons de couture devaient freiner des quatre fers. Dans un univers haletant où tout semblait s’accélérer chaque année, le monde a dit stop. De nombreuses marques mettent à disposition de chacun les talents de leur petites mains, fabriquant masques et blouses pour le personnel médical, tandis que les parfumeurs se transforment en laborantins, réalisant chaque jour des centaines de bouteilles de gel hydro-alcoolique . La mode si souvent critiquée pour ses fantasmes qu’elle réalise sans complexe, mais aussi sa futilité, est aujourd’hui un acteur majeur face à la crise. Mais au-delà de cette aide fournie dans l’immédiat, c’est le futur de la mode qui est remis en question. Que se passe-t-il quand tout s’arrête ?

La mode a appuyé sur pause. Les défilés de mai ont été annulé, et la semaine de la haute-couture parisienne n’est plus qu’un songe d’été. La crise actuelle a frappé de plein fouet ce secteur que rien ne semblait pouvoir arrêter. Devenue plus que secondaire, inutile presque, l’industrie de la mode est forcée de revoir ses codes et ses priorités. Alors que les grandes chaînes, tout comme les designers de haute-couture se retrouvent avec des quantités astronomiques de vêtements sur les bras, impossibles à écouler, la question de la surproduction se pose désormais avec clarté, et ses solutions ne devront plus se contenter d’être seulement théoriques, mais bel et bien pratiques. La designer Tory Burch déclarait il y a quelques semaines, au coeur de la crise, « Au fond de moi je sais qu’après tout sera différent. En temps qu’industrie nous devons nous interroger sur les quantités que nous produisons et ce que le produit, mais aussi son cycle de vie, signifie. Less is more. Cette phrase prend maintenant tout son sens ».

 » Les archives de la maison ©Dior

Si l’industrie de la mode a su se mettre au service du personnel de santé, la sortie de crise reste marquée d’un immense point d’interrogation. Que signifiera la mode une fois tout cela terminé ? Il est évident qu’une prise de conscience générale a secoué le milieu, les designers réagissant les uns après les autres, prônant une réduction des productions, mais aussi un ralentissement de ce rythme effréné, ne menant qu’à la surconsommation et au gaspillage des ressources. Demna Gvasalia, directeur artistique de Balenciaga, admet que les fashion weeks et leur rythme ont perdu leur sens depuis longtemps, et voit dans cette sombre période une occasion de réfléchir à des solutions adaptées à un futur qui réclamera de nouvelles normes, une redéfinition complète d’un univers si souvent critiqué. Pour l’une des premières fois alors, la mode prendra son temps. Les collections d’été seront encore présentes au coeur du mois d’août, alors que la production, dont la majeure partie prend place en Inde, s’est vue obligée de ralentir. Aujourd’hui forcé par une crise sanitaire, ce ralentissement de la mode devrait prendre place de manière intentionnelle et consciente dans les années à venir. Le calendrier de la mode se verra alors certainement chamboulé, les défilés moins fréquents, les collections moins conséquentes. Un ralentissement qui fera du bien à un système survolté, mais aussi à la planète, alors que la seconde industrie la plus polluante plante les freins.

Au-delà de cette nouvelle vie au jour le jour, et de cette mode actuelle, cessant enfin de courir après les saisons, c’est une redéfinition de son intention et de son essence même qui doit être opérée. Le directeur artistique de la maison Valentino, Pierpaolo Piccioli, explique qu’à la venir la demande sera différente, et qu’il sera vital aux créateurs de s’adapter. « À partir d’aujourd’hui, dans la mode, vous ne voudrez acheter que des pièces qui vous touchent réellement, et pas simplement une autre pièce qui viendra s’ajouter à votre garde-robe. Il faudra créer plus d’émotions, plus de pièces qui font rêver, une réaction à cette période ». La mode prendra-t-elle alors plus de sens ? Assisterons-nous à un renouveau des collections sans précédent ? Il est difficile de nier que pendant cette période d’isolement nos habitudes de consommation n’ont pas changé. Malgré la possibilité d’acheter en ligne, notre conscience nous retient, et notre porte-monnaie aussi. Désormais il sera impossible d’acheter sans penser, le luxe changeant lui aussi de définition, passant d’un désir de possession à la consommation de pièces réellement utiles, pourvues d’un sens. Mars, avril, mai, trois mois, peut-être plus, de pause qui auront finit par forcer la mode à revoir sa copie. Et comme l’a déclaré la pionnière Stella McCartney, « Nous pouvons faire tellement mieux que ça ». Seul l’avenir nous le dira.