LES MELONS DE LA COLÈRE

Virginie Despentes © Jérome Bonnet

Eh oui ma pauvre Suette, déjà ! C’est la 15ème édition du festival Les Créatives qui se tiendra principalement du 12 au 25 novembre à Genève, mais qui étend également son réseau tentaculaire à travers monts et vallées, jusqu’à Bâle, en passant par Nyon et Lausanne. Pluridisciplinaire dès ses débuts, le festival vise à inclure le maximum de voix, de supports, d’angles aussi divers que pertinents car pérenniser un mouvement émancipatoire c’est aussi le diffuser le plus largement possible. Ça s’appelle diversifier son portfolio. Des performances auront donc lieux, mais aussi des lectures en musique, ateliers, rencontres, battle de rap féminin, concours d’art oratoire (!), projections-débats, soirées club ou hiphop, des concerts, des pièces de théâtres, et aussi du stand-up; on le voit le cadastre est très vaste.

À l’instar des différentes vagues de féminisme, le ton des Créatives est monté d’un cran suivant le constat que l’ère du mignon chouinage était bien révolu et qu’il était peut-être temps de prendre le taureau par les couilles. La colère est donc le mot d’ordre de cette quindécuplienne édition, celle de voir subsister tant d’écarts salariaux, de considération que de conduite envers les conjointes, ex-bonne amie et autres désavouantes qui périssent encore trop souvent sous les coups de prétendants en mal de destruction. Une performance, “Le Cri”, se tiendra en ouverture du festival, un cri censé dépasser les innombrables minutes de silences qui sont restées il est vrai assez discrètes. L’approche est dès lors celle de femmes qui ne s’excusent plus, plus besoin d’être désolé de brusquer des conventions, des sensibilités ou carrément des injustices crasses ça ou là. Ce n’est pas un as de la négociation commerciale dure qui les contredirait. Mais courroux légitime n’égale pas hystérie sectaire, la bonne vieille soupe archétypale; d’ailleurs toute l’instruction, la réflexion, la participation inclusive qui est proposée, les efforts de médiation qui sont faits pour expliciter les démarches sont que l’embossage de ces intentions.

PERFORMATIVES

Plutôt que d’énumérer l’entièreté de la septantaine d’événements qui se tiendront dans les différents maquis de la place, il sera plus intelligible d’en exposer le suivant florilège. Pour ce qui concerne les aspects performatifs, “Le Cri”, évoqué plus haut, va donc se tenir pendant une minute, forcément très bruitiste, dans le hall d’Unimail en hommage et en réponse aux disparitions féminines non-sollicitées. En matière de spectacle, “Viril” nous place Virginie Despentes (celle-là même), Béatrice Dalle et Casey au sein d’une production sur l’expression de la colère le tout sur un fond de post-rock éthéré par Zëro. Là c’est sûr ça va balancer. Évidemment que les jeunes talents se doivent de participer autant que faire se peut et “Chimère” pourrait être une activité toute indiquée : c’est Anne-Lise Tacheron qui s’y colle pour décoller des têtes de Barbies® et les coller sur des tracteurs avec la joyeuse bande de nains qui lui sera confiée. L’idée étant non pas seulement d’interroger la vie sur la vie, mais aussi la construction de l’identité, pour se souvenir que personne ne devrait en avoir rien à fiche qu’un enfant préfère se construire d’une manière plutôt qu’une autre.

DÉMONSTRATIVES

Au rang des expositions, celles qui entourent le collectif des Guerilla Girls vont en instruire plus d’une sur les meilleures manières de se faire entendre lorsqu’on s’adresse politiquement à des inerties malentendantes. Ce furent elles qui coiffèrent la Grande Odalisque d’Ingres d’un masque de Gorille en interpellant : “Faut-il que les femmes soient nues pour entrer au Metropolitan Museum ?”, des inspiratrices notamment des dévotes ukrainiennes qui interrogeaient la société slave nues dans des églises. Enfin niveau one-women show, prenons cette chère Shirley Souagnon avec son spectacle“Monsieur Shirley”, elle incarne en particulier à la scène un personnage hilarant parce qu’en apparence complètement détaché des souffrances potentielles qu’une lesbienne noire qui ne serait pas assez clairement d’un genre pourrait valablement ressentir.

INFIRMATIVES

Dans un registre plus directement participatif, une discussion entre Virginie Despentes et Paul Preciado vont avoir un impact fort sur leur audience. Les deux sont des fers de lance de la revendication, Virginie dans une littérature et un cinéma et Paul dans une réflexion philosophique qui pousse le travail de Foucault vers la modernité. L’ Association des Juristes Progressifs ont de leur coté un concours de joute oratoire qui fait écho aux sanctuaires phalliques que sont la Conférence Berryer ou le Concours Nançoz. Il est certains qu’entraîner la controverse polémiquée devant un parterre aide de sang réthorique sera tout sauf inutile pour les innombrables combats qui restent à mener.

Paula Temple © Julia Gunther

EXPIATIVES

Musicalement, il y a le pôle des musiques domestiquées et celui des sauvages. Pour illustrer les artistes qui viendront représenter le coté civil du fait musical nous avons choisi Elisapie, une auteure-compositrice-interprète inuite, qui chante délicieusement bien en inukitut, la langue autochtone du Nunavik et du Nunavut dans le grand nord canadien. Avec en tête des exemples comme Björk et Sigur Ros, on pourrait en déduire que le nord inspire une certaine lourdeur, il n’en est rien avec Elisapie. Pour le côté sauvage, il y a en particulier Paula Temple. Cette femme est un véritable concentré de génie, une des prêtresses actuelles de la techno dure à tendance transcendentale. Un pur délice de matière noire.

Elisapie Meimuna © Les Créatives

 

Festival Les Créatives
Du 12.11 au 25.11
Divers lieux (Ge-Ny-Lau-Bâ)
Divers horaires
Divers tarifs
Pass Badass CHF 65.- pour 5 évènements choisis Pass Guérilla CHF 150.- pour 8 évènements choisis lescreatives.ch