Les Grisons, berceau de la modernité suisse

Alors que les musées helvétiques retrouvent leurs visiteurs, les institutions culturelles françaises gardent encore portes closes. Dans l’attente d’une annonce positive du gouvernement qui permettra leur réouverture, les musées restent cependant actifs, décidés à être prêts à accueillir les passionnés et curieux dès que le feu vert sera donné. Dans l’incapacité de proposer une programmation en ligne car dépourvue de collection personnelle, l’institution a dit au revoir à son exposition consacrée aux Frères Lumières pour laisser place aux maîtres de la peinture moderne suisse. La Montagne Fertile s’annonce comme une exposition aussi rare qu’exceptionnelle, rassemblant les Giacometti, Hodler, Segantini, et Amiet, qui ont peint avec passion et poésie les paysages des Grisons. Une pépite qui ne nous donne qu’une envie : que les musées français rouvrent vite leurs portes !

C’est un accrochage aussi rare que précieux que propose le Palais Lumière d’Evian alors que sa date de réouverture n’est pas encore fixée. Éternellement punies par l’Etat français, les institutions culturelles du pays gardent leurs portes closes, et patientent, maintenant impatiemment. Et pourtant, l’institution evianaise est plus que jamais prête à retrouver son public. Sa rentrée post Covid se fait encore plus attendue par la qualité et la rareté de sa nouvelle exposition qui attirera sans aucun doute un large public helvétique. Le caractère unique de cet accrochage réside notamment dans sa localisation. Fréquemment présentés dans les terres grisonnes, ces artistes et leurs pièces consacrés à ce canton relativement proche mais encore trop méconnu autour du Léman, sont exposés pour la première fois en France, et sont rassemblés en un si grand nombre de manière inédite dans l’arc lémanique. Tous les grands noms semblent réunis : Ferdinand Hodler, Alberto et Giovanni Giacometti, le maître du second, Giovanni Segantini, et enfin le plus confidentiel mais pas moins exceptionnel Cuno Amiet. Symboles de la modernité suisse, amis artistes qui échangèrent avec passion sur leur art, et s’amusèrent à se représenter les uns les autres dans des portraits résolument modernes, ils trouvèrent dans le canton des Grisons une terre nourricière, propice à la création, qui allait devenir un terrain de jeu sans pareil. 

Giovanni Giacometti : Soleil d’hiver à Maloja, 1926. Huile sur toile © Stifung fürKunst, Kultur und Geschichte, Winterthur.

La Montagne Fertile rassemble des toiles issues de musées suisses, mais aussi de collections privées, dévoilant certaines pour la toute première fois au public. Le groupe d’artistes très prolifique s’attèle alors à reproduire les paysages qui se dévoilent sous leurs yeux, les montagnes et les jeux de lumière qu’elles provoquent, les vallées peuplées de villages reculés, les lacs où se reflètent les sommets enneigés. Depuis toujours prisé par les artistes, le territoire des Grisons fait figure d’eldorado créatif. De Proust à Nietzsche, en passant par Jean Cocteau, le canton a vu défiler parmi les plus grands créateurs de notre temps, et les peintres suisses n’ont pas fait exception aux Alpes Rhétiques.

Au centre de ce groupe d’artistes se trouve la figure de Giovanni Giacometti, né dans les Grisons, qui se lie d’amitié avec Giovanni Segantini, réuni par leur vision artistique et par les terres qui les accueillent. Cuno Amiet et Ferdinand Hodler découvrent avec émerveillement ces paysages, et se lient d’amitié avec les deux artistes, exerçant alors dans un groupe réuni par l’émulation artistique et l’amitié. Leur évolution stylistique née dans ces terres aboutira à la naissance de la modernité suisse, qui entraînera dans son sillage Alberto Giacometti, fils de Giovanni, mais aussi des figures telles que Joseph Beuys et Hannes Vogel. Les Grisons apparaissent alors comme un univers fécond, où l’esprit créatif semble ne connaître aucune limite, et mener à des créations d’exception, qui laissent encore aujourd’hui une trace indélébile sur l’art suisse tel que nous le connaissons.