Les artisans du rêve
Incrustation des sequins sur les Fusion Sneakers chez ©Dior
Durant les fashion weeks, dans les pages de papier glacé des magazines de mode, nous voyons des tenues merveilleuses se déployer sous nos yeux. Des imprimés à nous couper le souffle, des broderies oniriques, des incrustations si parfaites qu’elles semblent ne pas avoir été réalisées par la main de l’homme. Et pourtant. Nous connaissons tous les noms des designers des grandes maisons, nous saluons leurs idées, leur créativité, leur vision de la mode et le renouveau qu’ils apportent chaque saison. Mais nous oublions que derrière l’esprit de ces créateurs s’activent les mains de centaines d’artisans, de couturières, de femmes et d’hommes qui font bien plus que réaliser les modèles qui leur sont confiés, mais qui font du rêve une réalité. Rarement apprécié à sa juste valeur, l’artisanat retrouve ses lettres de noblesse à travers les collections de nombreuses maisons de couture, des métiers d’art sans qui les merveilles de la mode seraient bien fades. Lumière sur ces petites mains qui font vivre le rêve.
L’artisanat, la nouvelle mine d’or de la mode
En 2016 une nouvelle ère commençait pour la marque Christian Dior. La designer Maria Grazia Chiuri, à la tête de la maison Valentino depuis des années, prenait son envole pour Paris et venait diriger seule cette maison de couture que l’on ne peut que qualifier d’emblématique. Sa première collection marqua les esprits par sa revisite de l’esthétique de monsieur Dior lui-même, reprenant des coupes et des looks élaborés par le designer français des années auparavant. Mais Chiuri allait faire bien plus que retrouver l’essence visuelle de la marque, elle allait retourner à une origine alors de plus en plus délaissée par les designers : l’artisanat. Parler de l’artisanat dans le monde de la mode c’est évoquer la face cachée de cet univers glamour, des podiums et des tapis rouges. C’est parler des heures de travail de ces petites mains, des anonymes, qui font pourtant naitre la magie là où nous l’attendons chaque saison.
Alors que Maria Grazia Chiuri arrivait à la tête de Dior, il y a maintenant quatre ans, l’artisanat s’était fait plus discret, les designers préférant des designs plus nets, des coupes droites, et cultivant un goût pour l’absence de détails, faisant même des imprimés un lieu d’expression plus simple, où les couleurs disaient tout, sans fioriture. Ce premier défilé Dior à la patte italienne allait tout changer et chambouler notre vision de la mode mais aussi sa valeur. Des robes aux imprimés oniriques dignes des univers de Chagall, des broderies astrologiques aux détails époustouflants, les idées de Maria Grazia Chiuri réveillèrent la mode et nous rappelèrent à ses valeurs premières : la recherche de l’esthétique, le travail bien fait, la valeur du vêtement en temps que tel. Si nous avons seulement vu la designer saluer sur scène à la fin du défilé cette saison-là, il était impossible de donner tout le crédit à la créatrice. Ses idées merveilleuses qui nous faisaient plonger dans un univers de constellations et de rêves, avaient été rendues possibles grâce aux arisants qui mettaient à profit de la marque leurs talents, dans la discrétion des ateliers Dior. Mais si Maria Grazia Chiuri a remis sur le devant de la scène les valeurs artisanales de la mode à travers ses collections, elle a également ouvert les portes de ces ateliers.
C’est un nouvel engouement qui secoue le monde, comme coupé en deux. D’un côté la fast fashion, l’obsession de la consommation, la volonté de tout avoir tout de suite. Et de l’autre, une redécouverte des valeurs du travail, un goût nouveau pour les petits créateurs, la volonté de ne plus commander ses meubles sur internet, mais d’aller les commander au menuisier du coin, ou alors de réaliser son sac à main sur mesures. L’artisanat s’est débarrassé de cette image d’un vieil homme dans son atelier occupé à son tour ou à sa scie. Aujourd’hui les artisans ont tous les visages, tous les âges, et nous démontrent avec talent que l’important réside dans le détail et l’originalité. Une leçon assimilée par Dior, qui a tout misé sur l’artisanat, dévoilant ses coulisses à travers d’innombrables vidéos diffusées sur son site internet, mais laissant les petites mains dans l’ombre des quatre lettres de son nom. Un filon au gout doux-amer qui vaut de l’or.
Artistes anonymes ?
Une question se pose alors. Ces artisans anonymes, ces designers d’imprimés, ces brodeuses, ces plumassiers, ces couturières, sont-ils réellement des artisans ? Un mot nous picote la langue alors que nous observons les moindres détails de ces broderies oniriques chez Dior, alors que nous détaillons la complexité des plissés dans le dernier défilé Valentino, tandis que nous nous ébahissons devant le travail du cuir chez Saint Laurent : ne seraient-ils pas en réalité des artistes ? Des artistes évoluant dans un monde de profit, des artistes dont les noms et les visages sont inconnus, des artistes qui s’effacent et laissent la gloire aux idées, comme si leur réalisation n’avait pas tant de poids. La limite semble de plus en plus fine entre ces deux mondes, et l’univers de la mode la réduit chaque saison, sans pour autant rendre à César ce qui appartient à César. Il est amusant de voir que l’exposition Dior du Victoria & Albert Museum de Londres mettait en avant l’artisanat dans ses créations. Nous pouvions lire sur chaque cartel le nom de la collection, les matières employées, le nom du designer alors à la tête de la maison, mais les noms derrières ces plis, ces fleurs, ces perles, ces plumes, ces broderies, restent un mystère. C’est peut-être ça aussi, la magie de la mode. Ses secrets de fabrication bien gardées, ses ateliers de maroquinerie florentins impossibles à localiser où naissent les sacs à main les plus en vogues, ses heures de coutures en blouse blanche. La mode ne peut vivre sans l’artisanat, et les marques comprennent de plus en plus ce désir du public de découvrir des pièces qui ne sont plus de simples vêtements, mais des créations qui flirtent avec des oeuvres d’art, des imprimés qui auraient leur place au mur d’une galerie, des vêtements faits de perles et de plumes que l’on ne serait presque pas étonnés de découvrir dans une foire d’art. En retournant à sa source artisanale la mode est-elle en train de prendre une nouvelle dimension ?
Un flou cultivé par le savoir-faire
C’est une retour aux origines de la mode qui s’opère alors depuis quelques années chez des designers de plus en plus nombreux, mais qui est également à l’origine d’une limite de plus en plus floue art et mode. Le sac Lady Dior semble parfaitement l’illustrer. Produit dans des ateliers florentins par des maitres maroquiniers, assemblant à la main chacune des pièces du sac, réalisant surpiqures et finitions, le Lady Dior a également fait l’objet de collaborations artistiques. L’ironie est presque trop évidente. L’art puise dans les créations artisanales pour créer, et la seule différence qui semble exister entre les créations de maroquinerie de la marque et leur revisite par des artiste est l’utilité de l’objet. La voilà la barrière infranchissable. Et pourtant, des designers à l’image de Maria Grazia Chiuri, plaçant de plus en plus l’artisanat au coeur de leurs créations, viennent nous rappeler le travail d’orfèvre qui habite la haute couture. Un jour peut-être les imprimés de la collection Automne-Hiver 2020 seront encadrés et accrochés au mur d’une galerie, car si la mode se réinvite et repousse ses limites, elle ne pourrait le faire sans l’aide de ses artisans. D’ici là, nous n’avons qu’un seul souhait : que designers et artisans travaillent main dans la main, et continuent à faire grandir ce rêve qui vit dans les détails et le savoir-faire.