LEMANIANA, UN COCON D’ARTISTES À DÉTISSER
James Bantone, Smell my feelings, 2020 (Detail). Digital Print. Dimensions variables. Exposition Lemaniana © Centre d’Art Contemporain Genève
Naviguons sur le lac Léman avec ses artistes aux alentours dans la visite de la nouvelle exposition du Centre d’Art Contemporain de Genève, Lemaniana. Du 24 mars au 15 août, l’appel à projets proposé par Andrea Bellini avec la collaboration de Mohamed Almusibli, Jill Gasparina et Stéphanie Moisdon nous permet de partir à la découverte de nouveaux artistes situés autour du Lac Léman. La seule restriction étant géographique. La diversité et l’originalité de cette idée post-confinement nous permet de découvrir de nouveaux talents et se veut ainsi plus proche de l’individu et des éléments essentiels retrouvés lors du confinement : la nature, l’amour et la redécouverte des autres. Une manière de se préserver de la solitude forcée durant la pandémie.
Trait d’union entre art et religion
Soraya Lutango Bonaventure et Ali-Eddine Abdelkhalek ont cherché les points communs entre deux mondes aux antipodes : celui de l’Église et des scènes de club. Ils empruntent des hymnes d’adoration du Kingdom Gospel Club, un collectif de Gospel à six voix, originaire du Congo pour les transformer en sons électroniques. En réunissant ces deux milieux à travers la musique, les deux artistes suisses ont réalisé un projet inhabituel et envoûtant nous faisant vivre ce croisement entre deux sphères que tout oppose. Leur projet ne s’arrête pas là, la bande annonce présentée au Centre d’Art Contemporain va donner lieu à des performances en octobre : une pièce hybride de danse, théâtre et une installation cinématographique, à ne pas manquer ! La dichotomie qui se manifeste dans leur œuvre Taking Care of God (2019) est l’expression même de l’identité des deux artistes. On part ainsi en exploration spirituelle à travers une belle collecte d’images et de sons spécifiques construisant des langages à la fois familiers et étrangers liés aux questions d’identité, de mémoire et de diaspora.
Rêvons des corps
La représentation du corps humain en peinture a toujours été vaste, passant aussi bien par le réalisme que l’abstraction et bien d’autres encore. Pour l’étudiant de la Haute École d’Arts et Design (HEAD) Jeremy Dafflon, il décide de casser ces codes et d’explorer ainsi les possibilités de représentations en s’inspirant d’une esthétique kitsch presque grotesque. Dans ses peintures La Poïa (2020) et One week in Paris (2021), ce sont le portrait de créatures hybrides et androgynes, à mi-chemin entre la femme, l’homme, l’animal, l’adulte et l’enfant créant ainsi une sorte de chimère. Le corps pour lui, se transforme en un lieu de rencontre entre tous ces contrastes biologiques. Pourquoi se contenter d’une représentation classique du corps quand on peut en dévoiler d’autres attributs ? Prenons La Poïa (2020), où la peinture de ce corps au physique à double identité se mêle aux représentations de divinité hindoue. Cela sur un fond champêtre digne d’un rêve. Au-delà d’un travail décoratif, l’artiste a cherché à traiter des thématiques de la sexualité, de l’érotisme et des identités de genre. Un panel de sujets à découvrir au travers de sublimes peintures.
Une guérison par nos sens
Dans le paysage urbain que nous connaissons, les fontaines publiques ont aussi bien été décoratives qu’utilitaires. Avec ces deux pièces en céramique rappelant des fontaines, Anxiolitic fountain et Aphrodisiac cabinet (Active substances, 2020), l’artiste Lou Masduraud affirme son travail en empruntant ces éléments de l’ordre publique, qu’elle remanie afin d’introduire une dimension médicinale à l’objet. Ce questionnement sur les politiques d’organisation et comment sont-elles structurées devient le fil rouge de son travail. L’artiste déconstruit l’infrastructure qu’est la fontaine, spectacle de l’abondance de l’eau potable, un bien commun pourtant contrôlé par la ville. Lou Masduraud s’approprie ainsi ces fontaines et créent des « anti-fontaines » par la sculpture excentrique de ces objets propre à l’art grotesque. Elle prend, effectivement, d’assaut l’architecture de ces derniers et intègrent une ornementation de figures difformes et monstrueuses, inspirées de l’hydraulique urbain : robinets, tuyaux, bains, urinoirs. Malgré leur apparence hors du commun, les deux sculptures exposées ont des propriétés bénéfiques, diffusant du millepertuis aux vertus antidépressives et de la sarriette connue pour ses vertus aphrodisiaques. Pour vaincre les miasmes de la pandémie actuelle, ces « anti-fontaines » aux vapeurs médicinales sont finalement un remède physique et spirituel à notre situation fluctuante.
Lemaniana
Centre d’art contemporain de Genève Rue des Vieux-Grenadiers 10, 1205 Genève www.centre.ch