Le MEG de demain

Le nouvelle directrice du MEG Carine Ayélé Durand

Alors que nous étions présents au Musée d’Ethnographie de Genève (MEG) en mars dernier pour découvrir l’exposition Le MEG et les 17 objectifs de développement durable prenant place dans ses jardins, nous avons eu l’occasion de rencontrer sa directrice Carine Ayélé Durand. À la tête de l’institution depuis juillet 2022, elle nous parle ici de son parcours qui l’amène à des réflexions fortes sur les droits des peuples autochtones, du futur du musée en regard de cette problématique, et de l’engagement du MEG qui se veut exemplaire pour un avenir durable. Une rencontre inspirante à l’aube de l’inauguration de la prochaine exposition du musée, qui ouvrira le 5 mai 2023, Être(s) ensemble. 

 

Avant de parler présent et futur, faisons un bond dans le passé. Pouvez-vous revenir avec nous sur votre parcours, qui vous a amenée à être nommée directrice du MEG en juin 2022 ?
Au départ, mon parcours est classique. J’ai tout de suite étudié l’ethnologie et l’anthropologie, mais ma spécialisation est venue plus tardivement. Après avoir travaillé au Brésil, j’ai commencé à me spécialiser dans les Amériques plus largement, puis j’ai développé mes compétences jusqu’à l’Arctique. À l’époque, je travaillais au Musée des Confluences de Lyon où j’étais responsable des collections Amériques, et rapidement la réflexion s’est orientée sur les peuples autochtones, mais aussi les artistes contemporains qui s’inspiraient des collections du musée pour créer des œuvres. Je voulais aller plus loin dans ces relations entre les peuples, les artistes contemporains, et les musées, et j’ai donc décidé de partir en Angleterre pour rédiger une thèse à ce sujet. J’ai eu l’opportunité de travailler sur deux expositions à cette époque, l’une sur les îles du Pacifiques, et l’autre prenant place à Stockholm. À ce moment, en 2001, la Déclaration des droits des peuples autochtones était en pleine rédaction, et je me suis penchée sur la manière dont les musées européens prenaient ou non en compte les droits des autochtones, dans ce cas précis avec le peuple Samis. C’est un sujet qui m’a depuis passionnée, et au MEG, avec Boris Wastiau comme directeur à mon arrivée, ces questions étaient devenues centrales, et je compte bien aujourd’hui les développer encore plus largement.

Concrètement, comment est-ce que cette problématique vient jouer un rôle dans la création des expositions du musée ?
Nous essayons de mettre en place une véritable collaboration entre le musée et les peuples autochtones à qui appartiennent ces objets. Car oui, la collection est la propriété de la Ville de Genève, mais ici nous devons parler de co-gestion, de partage, et de travail collectif. C’est une approche que nous avons mise en place dès 2021, avec l’exposition Injustices environnementales en prenant en compte le ressenti des peuples, qu’il s’agisse de la présentation des objets, mais aussi de la rédaction des textes. Par exemple, un objet considéré comme sacré a dû être retiré de l’exposition quelques jours avant son ouverture à la demande de la population autochtone. On peut penser ici qu’il s’agit de respect vis-à-vis d’une culture, mais en réalité c’est bien plus que ça, il s’agit de respecter la loi de la Déclaration des droits des peuples autochtones.

Le foyer du MEG ©DR

Et du côté de la conservation, quelles modifications sont mises en place dans la méthode de travail des conservateurs du MEG ?
Tout d’abord, le terme conservation est aujourd’hui remplacé par bien-traitance. Il est devenu capital dans notre pratique au musée de comprendre les objets qui se trouvent dans nos collections à travers le regard des peuples où ils trouvent leur origine. Ainsi, si une objet sacré demande la mise en place de rituels, d’une attention différente en raison d’un statut sacré, nous le ferons. Idem si l’objet doit être enterré dans un lieu spécifique, voire laissé à une décomposition naturelle. Nous sommes en devoir de respecter la volonté de ces peuples autochtones, peu importe leur situation géographique. Et évidemment la question de la restitution est centrale, et je suis totalement ouverte à cette possibilité, comme le démontre la restitution d’objets sacrés rendus au peuple iroquois en février dernier. Mais nous souhaitons également mettre en place de nouvelles pratiques déjà utilisées en Amérique du Nord, avec par exemple la possibilité de rendre un objet le temps d’un rituel, avant qu’il ne revienne au musée. Ce qu’il faut avant tout comprendre c’est que nous sommes dans une optique de collaboration totale.

Et en rapport avec le public de l’institution ?
Boris Wastiau a déjà initié un travail colossal de ce côté-ci lors de sa direction. Il a toujours insisté pour faire connaître à tous la provenance des objets, le parcours qu’ils ont réalisé pour arriver dans les collections du musée. Cette recherche de provenance, j’aimerais la pousser encore plus loin en y apportant un aspect contemporain : celui des conséquences actuelles sur les peuples concernés. On observe de nombreuses évolutions dans notre pratique, mais mon objectif est que dans dix ans nous nous retournions sur le passé pour constater que notre méthode a totalement changé.

Peut-on nous attendre à de futures expositions abordant cette problématique de manière très concrète ?
En effet, en 2024 nous présenterons une exposition qui portera sur le rôle de Genève dans le monde colonial, et sur la manière dont les objets de la collection sont arrivés en Suisse. L’idée est de partir dans nos collections et de retracer la route parcourue par l’objet, dans quel contexte celui-ci a quitté son pays d’origine, et de poser la question, maintenant, qu’est-ce que l’on fait ? Quel est le musée de demain ? Cette future exposition vient présenter les valeurs communes de tous les conservateurs du MEG qui ont à cœur de changer leur approche, et de collaborer avec les populations autochtones de la manière la plus complète qu’il soit.

Le foyer du MEG ©DR

Dans les jardins du musée nous retrouvons actuellement une exposition consacrée au 17 ODD (Objectifs de Développement Durable) de l’ONU. Concrètement, comment est-ce que le MEG s’engage dans ces objectifs ?
Nous avons à cœur de respecter ces 17 ODD, et de donner l’exemple, et cela demande une réflexion constante. Accueillir cette exposition dans nos jardins, en FALC (français Facile à Lire et à Comprendre), c’est une manière pour nous de nous engager, mais aussi de sensibiliser chacun à ces enjeux. Concrètement, cela se traduit par la réutilisation dans les scénographies de nos expositions, mais aussi dans notre travail de médiation et d’inclusion. Par exemple, nous collaborons avec une association travaillant avec des apprenants de français, qui ont pour objectif de parler de leur histoire au public, dans une langue qu’ils apprennent encore, en devenant guides conférenciers. En réalité, ce que nous gardons sans cesse en tête au MEG, c’est que ce musée, c’est la société. Ce qu’il y a dehors, il faut le retrouver dedans en nous inscrivant dans les ODD de l’ONU à chaque instant.

Le développement durable, la nature, ce sont des thématiques que l’on retrouvera également dans la prochaine exposition qui ouvrira en mai ?
En effet, Être(s) ensemble se positionne pour repenser notre relation au reste du monde, en partant du postulat qu’il fut un temps l’harmonie régnait entre les humains et la nature, puis il y a eu une rupture. L’exposition se focalise alors sur six personnes qui tentent de créer à nouveau cette connexion en dialoguant avec le vivant. Cela arrive avec de nombreuses problématiques, mais permet de montrer qu’il est possible de vivre harmonieusement avec notre éco-système, et que ce dialogue peut être retrouvé, pour le bien de tous.

 

Le MEG et les 17 objectifs de développement durable, à retrouver dans les jardins du MEG jusqu’au 30 juin 2023. 

Être(s) ensemble, une exposition à découvrir dès le 5 mai 2023. 

Musée d’Ethnographie de Genève, Bd Carl-Vogt 65, 1205 Genève.
www.meg.ch