L’art, miroir du désenchantement

©Boléro-Versoix

L’art est le miroir de la vie, et encore plus souvent sa critique. Cet adage semble avoir traversé les époques, les artistes marquant l’histoire de l’art de leurs critiques sociales décennie après décennie. Des guerres à l’industrialisation, des épidémies aux révolutions, les artistes ont dépeint les changements, les peurs, et les travers de nos sociétés passées. Le monde de l’art contemporain continue de suivre cet adage, et l’exposition Avant Demain de la galerie du Boléro, constituée des pièces du Fonds d’Art Contemporain de Genève, sélectionnées par la lauréate de l’année 2019, nous poussent à nous interroger comme jamais cela n’avait été fait auparavant. Mais où va dont notre société ? Réponse effrayante en photographies et installations.

C’est d’abord dans le hall de l’immeuble qui abrite la galerie du Boléro que nous sommes happés par la thématique poignante de l’exposition. Une oeuvre d’Alexia Turlin nous interpelle, où les montagnes cachées par un voile de pollution semblent pleurer, dégouliner de tristesse face au désastre écologique qui les menace. Faisant face à leur majesté, deux phrases, pensées par Hadrien Dussoix, et écrites par deux enfants, « C’est avoir tort que d’avoir raison trop tôt » et « Tout ira bien ». À travers ces textes, il montre une jeunesse sous influence, celle des adultes, des réseaux sociaux, d’une société qu’ils ne comprennent pas encore.

Avant Demain regroupe une dizaine d’oeuvres toutes issues du Fonds d’art contemporain de Genève (FCAC), et partageant comme point commun le rapport que l’art entretien avec l’actualité. Les oeuvres ont été sélectionnées par Karine Tissot, lauréate de la bourse 2019 du FCAC, qui curate cette exposition incisive portant un regard dur mais juste sur l’actualité et le monde qui nous entoure. Installations, photographies, sculptures, toutes les pièces exposées se réunissent autour de ce thème se focalisant sur diverses de ses facettes. La misère sociale et le poids qui pèse sur elle se traduit par la banquette publique imaginée par Bastien Gachet, imaginant ce mobilier urbain aussi inconfortable que possible. À l’heure où les villes sont pensées pour rendre la vie impossible aux sans-abris, il nous invite à porter un regard nouveau sur cette discrimination en créant ce banc sur lequel même les plus riches ne pourraient pas s’assoir tellement sa forme le rend inconfortable. Lui faisant face, neuf pierres de sel aux formes diverses sont posées à même le sol. À l’origine de ce projet, l’artiste Nicolas Momein. Ces blocs de sel enfermés dans des boîtes aux ouvertures modelées par la main de l’homme portent les vestiges des vaches qui les ont léché incessamment, forcées de se délecter de cette pierre salée aux endroits laissés accessibles par l’homme. Critique flagrante de la cruauté animale et de l’objectification des bêtes dans notre société, il questionne alors ce rapport inégal qui se manifeste notamment dans les élevages intensifs où l’animal n’est plus qu’objet.

©Boléro-Versoix

L’exposition se poursuit avec des photographies de Laurence Bonvin, portant un regard à la fois esthétique et critique sur le mode de vie des plus aisés, s’enfermant dans leurs propres enclos, se créant un paradis artificiel qui a tout de l’enfer sur terre. Dans la dernière salle de l’exposition, on s’attarde pour contempler les oeuvres de Beat Lippert et Pierre Vadi. Le premier nous invite à observer une série de moulage de pierres, toutes identiques, seuls vestiges de nos montagnes vouées à disparaitre en raison de l’exploitation humaine des carrières. Miroir étonnant et troublant de la fresque d’Alexia Turin, qui témoigne d’un deuil prématuré des montages qui nous entoure. Au sol, les bulles de verre de Pierre Vadi nous hypnotisent. Les plus grandes correspondent au volume d’air que les poumons d’un homme peuvent contenir, les plus petites à ceux d’une femme. En pleine pandémie, ces pièces de verre soufflé portent une signification toute particulière, presque effrayante, comme si notre dernier souffle se trouvait là, sous nos yeux, et que nous n’avions rien fait pour empêcher cette fin. Avant demain regroupe des oeuvres majeures du FCAC, mais nous invite par-dessus tou à ouvrir les yeux sur notre réalité sociale et écologique. L’art n’a jamais été meilleur miroir, même si le reflet qu’il renvoie nous trouble, nous bouscule, et nous effraie.

Avant demain, du 11 octobre au 13 décembre 2020, Galerie du Boléro, Chemin Jean-Baptiste Vandelle 8, 1290 Versoix, www.versoix.ch/sites-bolero-galerie/bolero-galerie/