L’art du Silence

Musée Rath, Luigi Rossi, « Rêves de Jeunesse », 1894. ©Dona de Carli

À l’époque de l’Antiquité la peinture se voyait définie comme « poésie muette », mettant ainsi l’accent sur l’aspect silencieux de cet art. Pour son exposition estivale, le Musée Rath reprend cet ancien adage et vient questionner une thématique à la fois complexe et multiple : les silences dans la peinture. Un nom pluriel car il est rapidement apparu impossible à la commissaire de cette exposition, Lada Umstätter, de ne distinguer qu’un seul silence en peinture. Les genres, mais aussi les époques et les thématiques des œuvres viennent explorer ce même sujet sous divers angles, allant de la peinture de paysage à la scène de genre en passant par l’autoportrait. Cette exposition se propose alors comme un voyage dans un monde silencieux, un monde où la peinture parvient à tout nous dire sans un mot, sans un bruit. Bien plus qu’une simple exposition, Silences se voit comme une expérience qui invite le spectateur à parcourir les œuvres à la recherche de ce précieux silence que l’art pictural porte en ses gènes. 

Seul l’un de nos cinq sens est sollicité pour apprécier une toile : la vue. Et pourtant, les autres sens semblent parfois se mettre en éveil, sentir le goût de ce repas de nature morte, souffrir de la douleur d’un Saint Sébastien au supplice, mais aussi entendre les mots que se chuchotent ces amoureux, les chiens qui aboient lors de cette partie de chasse, l’horloge qui rythme un temps pourtant figé sur la toile, ou alors ce silence d’une femme assise et cousant, nous submergeant, lui bien réel. Ce silence se veut alors comme force de la peinture, gardant les sons scellés dans des toiles pourtant parfois criardes, assourdissantes, mais dont les sons sont emprisonnés. L’exposition Silences met au centre de son exposition le bruit, et son absence. Un silence « envisagé non seulement comme l’absence de bruit, de son ou de parole, mais aussi comme état » nous explique la commissaire Lada Umstätter. Ces multiples variations du silence se voient alors déclinées en des thématiques fortes et parlantes, venant explorer au fil des salles les diverses facettes de ce silence, allant des peintures bruyantes et réduite à se taire, aux toiles où le silence est le seul maître mot. L’exposition se voit alors découpée en dix thématiques, venant par ce chiffre même démontrer la difficulté d’un tel thème, à la fois subjectif et énigmatique. La complexité de ce thème, mais aussi ses nombreuses interprétations, se voient illustrées par la diversité des époques et des genres représentés au musée. Cinq siècles de peintures se côtoient sur les murs du musée, laissant cohabiter des artistes aussi éloignés que Corot et Rembrandt, ou encore Vallotton et Hammershøi, mais tous liés par ce silence qui occupe leurs toiles. Au total, 130 œuvres, dont un tiers venant des collections du musée. Quant au reste des pièces exposées, il s’agit de toiles issues de collections privées, qui pour certaines d’entre elles n’ont jamais été exposées et ne le seront peut-être jamais plus, ne rendant que plus précieux cet accrochage exceptionnel.

Musée Rath, Vilhelm Hammershøi, « Intérieur avec piano et femme vêtue de noir », 1901. ©Flora Bevilacqua

Cheminer sans un bruit

Les dix thématiques définissant chaque salle nous proposent de découvrir dans chaque pièce une nouvelle interprétation du sujet. Le parcours commence par un contrepied au thème, « Du bruit au silence ». Des œuvres bruyantes, criantes, où l’action représentée en deviendrait presque assourdissante, à l’image de la Chasse au Sanglier de Joannes Fijt (1654), une scène où le chaos et les cris des bêtes sont impossibles à ignorer. S’ensuit une série de thèmes où, ici, le silence se fait maître. Des natures mortes et scènes de la vie quotidienne dans la salle « Vie Silencieuse », au silence religieux illustré par la thématique « Silence Sacré », en passant par des thèmes aussi mutins que « Vanités » ou « Mélancolie », la scénographie nous fait alors voyager dans un univers où tout son s’arrête et le silence domine.

Parmi les artistes présents, des figures suisses emblématiques, à l’image de Jean-Etienne Liotard, illustrant le silence à travers une délicate nature morte au pastel (1782), mais aussi de Félix Vallotton, ou encore Ferdinand Hodler et Alexandre Calame s’illustrant dans la peinture de paysage. Au-delà des artistes nationaux, Silences vient s’enrichir de pièces de Camille Corot, mais aussi de Jan I Brughel, Henri Fantin-Latour, ou encore d’artistes plus récents à l’image de Simon Edmondson ou Matt Collishaw. Une myriade de pièces exceptionnelles s’étale alors sur les murs du musée et nous prouve que le silence en peinture est multiple, capable de se manifester sous diverses formes, du « Non-dit » aux « Paysages silencieux », un thème vaste et infini et qui à travers cette exposition prouve avec brio que la peinture est belle et bien poésie muette. Bien plus qu’une simple exposition, Silences se voit comme une expérience offerte aux visiteurs. Une parenthèse silencieuse à ne pas manquer dans une Genève estivale agitée.

 

Silences Jusqu’au 27 octobre 2019 Musée Rath Place de Neuve – 1204 Genève institutions.ville-geneve.ch/fr/mah