Langage (visuel) fleuri

©Hatti Molloy pour Mercedes Benz Australie

Ces publicités fleurissent sur nos écrans comme des tulipes au printemps. Des grands noms de l’automobile aux maisons de couture, en passant les joaillers et les très logiques créateurs de parfum, la fleur à la cote. Sur les réseaux sociaux les compositeurs floraux multiplient les likes et bien loin de notre image datée du fleuriste de quartier se transforment en influenceurs à pétales. Fjura, Mary Lennox, Hatti Molloy, tant de noms qui envahissent les pages des magazines et inondent les réseaux sociaux de leurs créations résolument dans l’air du temps. Belle éphémère, la fleur se multiplie, envahit l’espace, et se fait star dans des campagnes de publicité aux allures résolument bucoliques, barrées d’un trait de modernité faisant de l’éphémère le must have du moment. Entre esthétique, écologie, et anti-écologie, la fleur se met dans tous ses états et quitte nos jardins pour devenir star de nos écrans. Quand la pub à la main verte.

Bouquet de pub

À une époque où notre conscience écologique essaye de rattraper la catastrophe climatique qui gronde au-dessus de nos têtes, la fleur coupée devient bizarrement tendance. Instagram en est envahi. Aucune influenceuse n’oserait aujourd’hui montrer une table basse décorée avec goût sans un bouquet de pivoines immaculées ou de tulipes solaires, mais la tendance va désormais plus loin. Il y a quelques années en arrière, le métier de fleuriste était associé aux petites boutiques installées dans nos villes où nous allons acheter nos fleurs coupées, aux compositions pour les mariages, ou plus tristement aux enterrements. Mais désormais cette profession est devenue tendance, au point de faire de ses nouvelles ambassadrices de véritables coqueluches des réseaux sociaux, qui se transforment peu à peu en alliées – les femmes sont à l’honneur – des responsables marketing des plus grandes marques. Depuis un peu plus d’un an, les campagnes de publicité incorporant des éléments végétaux fleurissent sur le net, et loin de se contenter du simple bouquet de fleurs déposé sur une table, font appel à des compositrices florales à l’oeil résolument moderne. Le studio berlinois Mary Lennox se joue des nuages de fleurs en suspension, des installations monstrueuses et délicates que sa créatrice, Ruby Barber, a réalisé pour des marques aussi célèbres que Mercedes Benz en ce début d’année, ou encore le joailler Cartier. En résumé, les fleurs ont la cote. Peu importe le médium à vendre, l’action à communiquer, aujourd’hui les compositions florales envahissent la toile et nous donnent des envie de verdure, de nature, d’air pur. Derrière les créations colorées et joyeuses de l’australienne Hatti Molloy, caché entre les pétales graciles et délicates organisées avec soin par la créatrice de Fjura dans la dernière campagne de publicité H&M x Simone Rocha, se dévoile une réalité bien moins poétique. Si ces designers d’un nouveau genre nous vendent du rêve en bouquets, une réalité bien moins attrayante se détache des tiges coupées.

© Mary Lennox

Hic écolo

Prôné comme un retour à la nature, une manière d’étancher notre soif de verdure alors que la vie a encore du mal à reprendre son cours habituel, la composition florale apparait cependant comme une énorme contradiction que personne ne semble vouloir regarder en face. L’exemple le plus flagrant reste certainement celui de Mercedes Benz, dont les équipes de communication allemande et australienne ont tout misé sur l’omniprésence du végétal et la délicatesse de la fleur. Le contraste flagrant entre les compositions délicates et légères, et la carrosserie reluisante et robuste du véhicule fonctionne. Tout à coup la voiture est romantique, on pourrait presque la croire écolo. C’est ici que le mariage commence à battre de l’aile. Des fleurs coupées, des véhicules qu’il faut admettre polluant, une allusion à la nature pour nous faire oublier que les belles berlines puissantes, tout cela nous coupe-t-il le souffle au mauvais sens du terme ? Les bronches encombrées, nous étudions la situation. Des fleurs qui poussent sous des serres chauffées pour être présentes toute l’année, alimentées en eau de manière régulière et importante, puis coupées dès qu’elles ont atteint la maturité. Ensuite les voici transportées – les chanceuses prennent même l’avion parfois – dans des espaces réfrigérées, et enfin la main du fleuriste vient les installer. L’image est parfaite, ces nuages de fleurs, ces pétales exotiques, ces couleurs presque trop belles pour être vraies. La photo est prise, la vidéo dans la boite. Avec beaucoup de chance et beaucoup d’entretien les fleurs auront encore l’air à peu près en forme au bout d’une semaine. Ensuite ? Poubelle. La voiture, le sac à main, le parfum, le fauteuil de créateur, tout est vendu. La fleur elle sera compostée, avec un peu de chance, et au final n’aura vécu que quelques instants dans un rêve d’esthétisme parfait, bien loin de l’écologie qu’elle inspirait.