L’amour des Mots

Irma Blank dans son studio, photographiée par son époux, Milan, 1970

Et si l’apparence venait dépasser le contenu ? Irma Blank, artiste passionnée d’écriture et de littérature, a voué son œuvre à la découverte de ce médium en le dénuant de son sens, gardant seulement l’emprunte, la carcasse, la vision des mots, et abandonnant ainsi leur essence. Artiste femme délaissée et boudée par le monde de l’art comme bien d’autres, Irma Blank reçoit aujourd’hui, à l’âge de 85 ans, toute la reconnaissance qui lui est due. En cette nouvelle saison, le MAMCO consacrera alors à l’artiste et à ses illusions de textes une exposition saluant l’ensemble de sa carrière.

C’est l’amour qui fut à l’origine de la naissance de cette artiste. Irma Blank, née en Allemagne, quitte son pays natal pour suivre son époux, lui italien, en Sicile. Là-bas, elle se heurte à la barrière de la langue, ne pouvant comprendre les termes qu’elle déchiffre. Amoureuse de littérature, fascinée par les méandres du langage, elle fera naître de son déracinement son art, basé sur les mots, mais qui en réalité les ignore. De cette errance linguistique naitra dans les années 1960 sa première série, Eigenschiften, « auto-écritures », qui tente de décomposer le processus même de la rédaction, reprenant sa forme mais étant dépourvu de sens, impossible à comprendre, une écriture dite asémique. Pour l’artiste, ce travail fut tout d’abord celui de la solitude, de l’impossibilité de se faire comprendre dans ce nouveau pays, créant alors un langage n’étant celui d’aucune culture. Cette première série très personnelle la mènera ensuite aux Trascrizioni, une série d’œuvres où l’apparence du texte domine. Elle y recopie l’aspect d’articles de journaux, mais aussi de pages de poésie, n’imitant que la forme de ces écrits, et se débarrassant des termes et de leurs sens. L’enjeu de son travail se dessine alors de plus en plus clairement, dénuer les mots de leurs significations pour les faire exister par leur unique apparence, venant poser la question d’un langage universel. La présence de la couleur dans ses œuvres vient cependant ponctuer l’absence de définition. Le bleu et le rose dominent, la première étant la couleur de l’encre, et la seconde celle qu’elle associe à l’analyse, ces distinctions venant alors décrire avec discrétion la démarche de l’artiste. Le MAMCO retrace à travers son exposition la totalité de son œuvre, représentant également sa dernière série, Gehen, où l’artiste droitière a dû réapprendre à écrire, utilisant pour la première fois sa main gauche suite à de graves problèmes de santé rendant son travail impossible. Une série où la lenteur et la redécouverte du trait dominent, et où le corps de l’auteure impose sa présence.

Magicienne des mots, elle développera au cours de sa longue carrière un dialogue passionnant entre écriture et art plastique, nous proposant de nous interroger sur l’apparence du langage et d’oublier l’espace d’un instant sa signification. Elle n’est pas auteure, mais au premier abord parvient à nous duper par ses illusions. Ses créations évoluent alors vers une quête d’un langage universel, d’une expression basée sur le signe que tous pourraient comprendre, nous obligeant à lire entre les lignes. De ses prémices à ses dernières œuvres, cette exposition nous invite à découvrir une artiste unique trop longtemps ignorée. Un hommage en toutes lettres, ou presque.

Irma Blank, MAMCO, du 9 octobre 2019 au 2 février 2020, rue des Vieux-Grenadiers 10, 1205 Genève, www.mamco.ch