La légende Koudelka
Josef Koudelka, France, 1987 © Josef Koudelka_Magnum Photos, courtesy of the Josef Koudelka Foundation
« J’ai toujours photographié des choses en train de disparaître » déclarait Josef Koudelka lors du vernissage de sa nouvelle exposition. Photographe de légende, il a immortalisé par ses clichés de grands et petits moments de l’Histoire, le temps qui passe se figeant sur sa pellicule. Le musée Photo Elysée lui consacre cet automne une rétrospective intitulée « Ikonar – Constellations d’archives » et revient sur l’ensemble de son œuvre. Cette exposition constitue la première sur le territoire suisse depuis l’année 1977 et est accompagnée de la publication d’un ouvrage contenant de nombreuses images inédites issues de ses archives personnelles. Sur les murs de Photo Elysée, nous retrouvons les premières photographies qui allaient faire passer Koudelka de l’anonymat à la légende, avec ses séries réalisées durant l’invasion soviétique de Prague, mais aussi les nombreuses images qu’il réalisa de la communauté gitane alors qu’il n’était à l’époque qu’un passionné, utilisant son temps libre pour sortir son appareil. Une exposition qui revient sur le parcours d’une légende bien réelle.
De l’anonymat à l’Elysée
Né en Tchécoslovaquie en 1938, Josef Koudelka ne semblait pas destiné à la photographie. Sa carrière, il la construit en tant qu’ingénieur aéronautique, mais rapidement sa passion pour la prise d’images se développe et vient occuper tout son temps libre. Dès 1962, il part alors à la rencontre des communautés gitanes qu’il commence à photographier, les immortalisant comme des acteurs de théâtre sur scène, nous raconte le commissaire de l’exposition Lars Willumeit. Mais c’est un événement politique qui va changer la donne. En 1968 Prague est envahi par l’armée soviétique, une invasion que Koudelka immortalise avec des clichés aujourd’hui devenus emblématiques de cet événement. C’est sous le pseudonyme P. P. (Prague Photographer) qu’il divulgue ses images, restant dans l’anonymat. Mais cette prise d’action dans l’ombre se fait remarquer, et en 1969 l’Overseas Press Club lui décerne à titre anonyme l’une des plus hautes distinctions dans ce domaine, la médaille d’or Robert Capa. L’invasion soviétique en Tchécoslovaquie le pousse à quitter sa terre natale en 1970 et à trouver l’asile en Europe Occidentale, où il rejoint peu de temps après la célèbre agence Magnum, en 1974. Un parcours déjà légendaire en lui-même, avec ce photographe de l’ombre recevant un prix pour sa capacité à capturer une époque, un événement, mais avant tout la manière dont le peuple allait le vivre. Sur les murs de Photo Elysée nous retrouvons nombre de ses clichés de l’époque, des négatifs qu’il a conservé, et qui encore aujourd’hui sont emblématiques du travail de ce photographe nomade à l’œil et à l’objectif aiguisés.
Le nomade collectionneur
L’exposition « Ikonar – Constellations d’archives » propose aux visiteurs de se plonger dans les archives de ce photographe qui allait voyager de part le monde et immortaliser les grands moments de l’Histoire. En 2020, peu après avoir réalisé sa série Ruines venant fixer dans l’objectif les vestiges des sites archéologiques sur tout le pourtour méditerranéen, il déclarait déjà alors dans un entretien, « J’ai toujours photographié des choses en train de disparaître ». Un adage difficile à contredire en observant les images accrochées au mur du musée. Les photographies clés de sa carrière se mêlent alors à des clichés plus confidentiels, endormis dans les archives du photographe accumulant 30 000 planches contact entre 1960 et 2012. « Ikonar comprend également une installation entièrement dédiée à ses archives qui s’attache à analyser leur place dans le parcours personnel et artistique d’un des acteurs principaux de la photographie du XXème siècle » confie Lars Willumeit, commissaire de l’exposition. Dans ces clichés couvrant plus de cinquante années de travail, deux leitmotivs se démarquent : l’exil et la vie en marge de la société. D’une certaine façon, Koudelka semble n’avoir jamais quitté ses premières photographies. Aux communautés de Roms se succèdent les marginaux de la société, les exilés, qui comme lui se sont transformés en nomades malgré eux. Mais au-delà de ces clichés inédits et des sujets qu’ils représentent, l’exposition de Photo Elysée nous ouvre également une fenêtre sur la pratique du photographe. Nous découvrons alors les différents choix de cadrage propres à ses créations, son editing par séquences de prises de vue, mais aussi des clichés immortalisant ses notes, des plaques portant le nom de rues qu’il souhaite ne pas laisser échapper à sa mémoire, des métadonnées encadrant son travail qu’il fait également passer par la photographie et conserve depuis tant d’années.
Koudelka, icône
Le titre de l’exposition ne doit rien au hasard explique le commissaire Lars Willumeit, « Il a noué des liens avec ces communautés Roms durant plusieurs décennies. L’une d’elles lui a d’ailleurs donné le surnom d’Ikonar – faiseur d’icônes – car elle utilisait ses photos dans des lieux de prière ». Un nom, un titre, qui entre en parfaite adéquation avec le travail de Josef Koudelka, qui, au cours de ces quelques cinq décennies de travail rassemblées à Photo Elysée fut à l’origine de bien plus d’une image iconique. Sur les murs de l’institution de Plateforme 10, nous retrouvons le cliché de cet homme dont on ne voit que le bras, la montre au poignet, devant une rue de Prague désertée pendant l’invasion soviétique, ou encore un gitan avec son cheval, les deux protagonistes s’observant, puis des hommes aux allures de révolutionnaires dans les rues de Prague, le portrait d’un couple durant l’occupation. Toutes réalisées en noir et blanc, ces photographies n’ont pas besoin de faire appel à la couleur pour nous plonger dans le moment passé. Face à ces clichés, ce sont à des temps forts historiques que nous sommes confrontés, vestiges d’une époque disparue, mais preuve de son existence que l’on ne doit pas, ni que l’on ne peut, oublier. Enfin, lors du vernissage de son exposition lausannoise, Josef Koudelka avait ces mots, « Une bonne photographie entre dans la mémoire, on ne peut alors plus l’oublier ». Quelques temps après avoir découvert Ikonar – Constellations d’archives, nous n’avons toujours pas réussi à nous sortir ces images de l’esprit.
Josef Koudleka, Ikonar – Constellations d’archives, jusqu’au 29 janvier 2023, Photo Elysée, Place de la Gare 17, 1003 Lausanne, https://elysee.ch/