LA BÂTIE, SONGE D’UNE FIN D’ÉTÉ

David Marton / Road Opera « Narcisse et Echo »

© Nurith Wagner-Strauss

Certes, nous n’en sommes qu’aux balbutiements – quoique thermiquement tonitruants– de l’été, et il est incontestable que le fameux festival de La Bâtie est plutôt associé au crépuscule qui nimbe les adieux à la belle saison et à l’aube vivifiante qui se lève sur lerenouveau des saisons culturelles. C’est que, tout récemment dévoilée, la programmation de la 43ème édition nous fait d’ores et déjà papillonner de l’esprit et baver plus qu’un sorbet myrtille par 37 °C, et on ne peut donc s’empêcher de vous donner un succinct avant-goût d’une Bâtie qui s’annonce savoureusement audacieuse, nous faisant appeler septembre de tous nos vœux .

Entre langueur estivale et effervescence de la rentrée, le pluridisciplinaire festival de la Bâtie fait office de parfaittrait d’union en cette période de transition que signentconjointement la fin du mois d’août et le début de celuide septembre. Il permet aux festivaliers en goguette – lamine bronzée et reposée, finalement plutôt contents de retrouver un rythme de vie plus cadré que celui définipar les parasols et les pastis – de reprendre avec bonheur une vie urbaine et culturelle active. Cette année, la ma- nifestation s’étend sur dix-huit jours dévolus à tous lesaspects que peut prendre l’art mué en spectacle : théâtre,danse, performances et concerts se succéderont donc pour désaltérer les soifs de création contemporaine. Et La Bâtie promet de nous faire bouger, puisqu’elle arpentera le grand Genève et au-delà encore au gré des événements prévus. Une section artistique après l’autre, partons donc pour un (absolument pas exhaustif) tourguidé !

THÉÂTRE

Magistrale ouverture qu’offre le festival au théâtre deCarouge avec Tous des oiseaux de l’auteur, metteur enscène et comédien libano-québécois Wajdi Mouawad !Cette pièce polyglotte (allemand, hébreu, anglais et arabe) servie par de formidables comédiens traite del’histoire d’Eitan, jeune scientifique allemand d’origineisraélienne, et de ce que sa rencontre avec Wahida,étudiante américano-arabe, révèle des conflits de notreépoque, héritage toujours vivace des générations pré- cédentes. Encensé partout où il a été joué, soyez avertis que la première représentation (sur trois) de ce spectacle haletant tout au long de sa durée de presque quatreheures affiche déjà complet à la Bâtie !

Tous des oiseaux de Wajdi Mouawad
© Simon Gosselin

Autre performance de longue haleine, celle de Robert Cantarella avec Moi-même je me suis déçu, qui tape dans les neuf heures (!). Rassurez-vous, l’idée est ici que les spectateurs aillent et viennent à leur guise pour voir et surtout écouter les acteurs reprendre les entretiens radiophoniques des 50’s entre le célèbre critique Paul Léautaud et l’une des voix de l’ORTF, Robert Mallet. Ces joutes verbales traitant de tous les sujets sont d’autant plus délectables que le premier était surtout connu pour son impertinence éclairée et le second pour sa solennité. Avec Narcisse et Écho, le Berlinois d’ascendance hongroise David Marton – pianiste de formation – fait s’acoquiner théâtre et musique baroque et contemporaine en revisitant Les Métamorphoses d’Ovide, appuyé par son ensemble Road Opéra. Metteur en scène de génie, David Marton parvient dans son travail à faire résonner avec inventivité dramaturgie et mélodie tout en s’affranchissant des codes de l’opéra. Le résultat est unique, iconoclaste à souhait, et fait état d’une recherche approfondie des relations entre ces deux modes d’expressions. Toujours dans le registre des explorations transdisciplinaires, la gréco-genevoise Anna Lemonaki propose deux créations : BLEU, tout d’abord, ovni performatif entre texte, rock et vidéo, le tout évoquant et décor- tiquant en quinze tableaux la notion d’angoisse bien connue de l’artiste qui a souffert d’attaques de panique.Ensuite, avec FUSCHSIA SAIGNANT, elle explore les tourbillons insensés et indomptables de la passion amoureuse, mission pour laquelle elle sollicite sur scène les talents de deux acteurs, une danseuse de flamenco et un musicien, ainsi que… les paysages d’Islande.Volcanique !

DANSE

Du côté de la danse, on se réjouit tout particulièrement de découvrir Shadowpieces 0-IV de la chorégraphe ge- nevoise de longue date Cindy Van Acker. Il s’agit-là en effet d’une création pensée pour La Bâtie, soit cinq pièces d’environ dix minutes chacune interprétées en solo par quatre danseuses et un danseur dans le cadre d’un parcours sinuant de l’ADC aux Eaux-Vives jusqu’à la Place Sturm du quartier de la Cité (lieu du futur Pavillon de la danse). Chaque artiste a choisi son morceau parmi un panel puisant dans l’instrumental et l’électronique, et la chorégraphe a conçu en étroite collaboration avec elle ou lui le solo, prenant en compte morphologies, sensibilités, explosivité, mouvances naturelles de chacun-e. Tout droit débarquée de New York où elle se dessine comme une étoile montant de la scène contemporaine, la chorégraphe Nora Chipaumire, originaire du Zimbabwe où elle a passé sa jeunesse, livre avec #PUNK 100% POP*N!GGA un hommage en trois volets à autant d’icônes qui ont façonné sa fibre artistique, soit Patti Smith, GraceJones et Rit Nzele. Prenant la forme d’album chorégraphié, le show de Nora Chipaumire convie chant et danse en un cocktail explosif de « live art » qui fait voler en éclats les stéréotypes sur la féminité.

Nora Chipaumire
© Ian Douglas

MUSIQUE

Toujours bien servie à La Bâtie, la musique s’y annonce une fois encore délicieusement éclectique. Le mul- ti-instrumentiste new-yorkais Rhys Chatham, rendu célèbre par ses orchestres composés d’une centainede guitares électriques (!) se contentera au Pitoëff, dediriger un ensemble de huit talentueux musicos ducoin, dont « seulement » six guitaristes, ce à l’invitationdu trio (chant, guitare, piano) helvétique Pilot on Mars qui prolongera le plaisir grâce à son blues inspiré des auteurs majeurs de l’emblématique Beat Generation, soit Kerouac, Burroughs et consorts.

Soweto Kinch
© Iza Korsak

En coréalisation avec l’AMR, La Bâtie convie le Britannique Soweto Kinch pour une session mâtinée de jazz et de hip hop, âmes sœurs musicales s’il en est. Saxophoniste alto virtuose (récompensé dans la compétition idoine du Montreux Jazz Festival en 2002), Soweto Kinch s’avère également être un MC fort doué, dans la lignée rap conscient de Q-Tip ou de The Roots. Avec les musiciens qui l’ont accompagné sur son al- bum Nonagram, le natif de Birmingham incarne à laperfection la fusion entre Mos Def et Sonny Rollins ; à découvrir absolument !

CLUBBING

Pour celles et ceux qui auraient envie de se trémousser à des heures indues, La Bâtie propose quatre soirées en clubs – à audio, à la Gravière, au Zoo et à l’Abri – qui feront la part belle aux musiques électroniques, cela va de soi. On retrouve sur la line-up l’un des pontes de la techno de Detroit, Derrick May himself, pour un set dont on garantit qu’il restera dans les mémoires. La veille du Jeûne genevois s’appréciera aux sons orien- taux tendance psychédélique et house avec une soirée présentée par les gars du cru Ramin & Reda, qui invitentpour l’occasion Insanlar et le DJ Bariş K à nous rejoindredepuis la Turquie. Quant à la jeune mais très demandée Sud-coréenne park hye jin, elle ambiancera le Zoo avec sa house puisant volontiers dans la techno.

Park Hye Jin © DR

MIAM !

Bien entendu, une présentation, aussi brève soit-elle, de cette édition du festival de La Bâtie, ne saurait faire l’impasse sur le restaurant éphémère (nommé Les Franges en 2019) qui ravira à n’en pas douter les papillesdurant la manifestation, tout en faisant office de lieucentral, mais aussi de bar, espace salon et même de marché gourmand. Exit la salle du Faubourg à deuxpas du QG du comité d’organisation : pour se délecter des savoureux et inventifs menus concoctés par les cheffesSiham Manamani (Le trois plis) et Clémentine Stoll (Les Savoises) il faudra se rendre du côté de la Maison communale de Plainpalais. Sans oublier de déguster lespâtisseries de Laure Platiau ! Le tout servi dans un décordétonnant créé par les mêmes orfèvres qui avaient tropi-calisé le Faubourg en 2018, soit Cédric Riffaud et sa teamde choc, épaulés cette année par Anne-Cécile Espinach. Un cœur battant où convivialité se veut le maître-mot, en parfaite harmonie avec l’esprit de La Bâtie.

La Bâtie – Festival de Genève
Du 29 août au 15 septembre Programmation complète sur www.batie.ch