ENFER COMIQUE

« L’Enfer c’est les autres ». Qui ne connaît pas cette phrase de Jean-Paul Sartre tirée de sa pièce la plus célèbre, Huis clos ? On ne compte plus le nombre d’adaptations et de mises en scène de l’œuvre dans le monde entier depuis 1944, année de sa création. Pourquoi donc, allez voir la mise en scène de José Lillo au Théâtre Le Crève-Cœur ? Parce qu’il s’agit d’un classique tout simplement et comme beaucoup d’œuvres de cette envergure, elle est intemporelle. La pièce de Sartre garde de sa pertinence et possède une résonnance encore aujourd’hui. Pertinence qui se traduit ici par une mise en scène contemporaine proposée par un metteur en scène souhaitant redonner sa véritable signification à la phrase « L’Enfer c’est les autres ». Souvent mal comprise, cette phrase reprise par de multiples philosophes traduit une dépendance à autrui, à la construction d’un soi à travers le regard des autres qui, dans ce cas-là, devient infernale du fait que les personnages alimentent des faux-semblants entre eux. En outre, José Lillo vous propose de venir voir comme une farce. Mettez de côtés vos thèses politico-philosophiques et venez assister à l’enfer vaudevillesque de ce triangle formé par deux femmes et un homme voués à se détester infiniment sans pouvoir ironiquement vivre l’un sans l’autre.

PIÈCE SACRÉE

José Lillo explique qu’en relisant la pièce de Sartre, il y a découvert un « potentiel comique » qui était par ailleurs le postulat de base de son auteur. Du fait de son statut, les lecteurs de Sartre ont assigné à Huis clos des significations politiques et philosophiques allant parfois au-delà de ce que l’écrivain existentialiste avait voulu. Monter cette pièce comme une farce signifie un retour aux sources, mais également une appréhension peut- être plus actuelle. Pouvoir rire du sort des personnages d’Inès, Estelle et Garcin signifient sans détacher et se rendre compte de leurs erreurs aliénantes les uns avec les autres, plutôt que les uns contre les autres. Jean-Paul Sartre s’est inspiré de la pièce La Danse de mort du dramaturge suédois August Strindberg pour écrire Huis clos. On y retrouve une triangulation permettant une lutte de pouvoir entre les personnages. Cependant, chez Strindberg deux hommes et une femme se font face, alors que chez Sartre il s’agit de deux femmes et un homme. Le vaudeville ne peut se dérouler et les personnages se retrouvent coincés dans un cercle vicieusement impossible. A l’image de notre société dans laquelle certains sont obnubilés par l’image qu’ils possèdent sur les réseaux sociaux, les commentaires et les likes, plutôt que ce qu’il se passe dans la réalité. Le trio de Sartre est obsédé par ce qu’il se dit d’eux dans le monde des vivants, alors qu’ils sont morts. José Lillo introduit Huis clos comme « possédant toutes les qualités scénaristiques d’un épisode de la désormais célèbre série dystopique Black Mirror et pourrait par- faitement faire l’objet d’une adaptation dans ce format contemporain sans avoir à souffrir du temps qui sépare son écriture de notre époque ». Sartre s’amuse des codes et de ses personnages pour offrir au public une vision dramatique de l’enfer où le vivre ensemble rime avec carnage et où l’incapacité à se responsabiliser rime avec liberté échappée.

MISE EN SCÈNE ICONOCLASTE

La pièce Huis clos présente peu de personnages, mais également peu d’indications de mise en scène. L’épuration scénographique permet en effet de mettre en exergue le propos et les dialogues des trois person- nages. Cependant, Sartre envoyait une pique envers la société bourgeoise du milieu du 20ème siècle avec une didascalie contextualisant l’enfer dans « un salon style Second Empire ». José Lillo remet au goût du jour ce décor dont je vous garde la vibrante surprise. Pascal Berney, Hélène Hudovernik, Lola Riccaboni et Valentin Rossier se détruiront devant vous pour votre plus grand plaisir et fouleront la scène du Théâtre Le Crève-Cœur durant quatre semaines de mi-janvier à début février. José Lillo, salue d’ailleurs le fait de pouvoir présenter un spectacle, qui plus est une création, durant autant de temps. Rappelons qu’Aline Gampert, directrice du Théâtre Le Crève-Cœur met un point d’honneur à donner la possibilité aux artistes locaux et à leurs créations de gagner en notoriété grâce à plusieurs semaines de représentations. Ainsi, vous pourrez voir, revoir et re-revoir cette pièce iconique de Sartre et citer « l’Enfer c’est les autres » en toute intelligibilité.

Du 14 janvier au 9 février 2020
Théâtre Le Crève-Cœur
16 Chemin de Ruth, 1223 Cologny
Tél. 022 786 86 00

www.lecrevecoeur.ch