Drogue, amour et résilience

Avec son dernier film, Les enfants de Platzspitz, le réalisateur suisse Pierre Monnard nous embarque dans l’époque sombre de la scène ouverte de la drogue zurichoise. Sans pathos, il nous plonge dans l’enfer de la toxicomanie à travers le récit d’une petite fille, Mia (incroyable Luna Mwezi), 11 ans qui vit avec sa mère camée qui oscille entre période de sevrage salutaire et rechutes tragiques. Mia se réfugie alors dans un monde fantastique avec un ami imaginaire. Inspiré par l’autobiographie de Michelle Halbheer, Pierre Monnard signe avec dextérité un film à la fois sincère, émouvant et bouleversant. 

Rencontre avec un réalisateur hors-pair aussi charmant que brillant. 

 

Pourquoi avoir voulu narrer l’histoire de cette mythique Platzspitz? 

La sortie de mon film Recycling Lili coïncidait avec celle du livre témoignage de Michelle Halbheer sur Platzspitz. Il est d’ailleurs sorti en français en mars dernier. Lorsque je lisais des critiques de film, je tombais souvent sur des critiques de son ouvrage. Je me suis dès lors procuré le livre ainsi que le scénariste de Recycling Lili, André Küttel. Et très vite on a réalisé ensemble qu’on avait la matière à faire un film. Je connaissais déjà bien la Platzspitz. Je pense d’ailleurs que tous les Suisses de ma génération ont un lien direct ou indirect avec ce lieu. Dans mon cas, on connaissait un type de Châtel-Saint-Denis un peu plus âgé que nous et qui consommait de la drogue. Il allait régulièrement à Zurich à la Platzspitz. Un jour, il n’est pas rentré. Cette histoire est restée gravée dans ma mémoire. Et quand j’ai lu le livre de Michelle, tout a resurgit. 

 

Qu’est ce qui vous a plus dans cette ouvrage? 

Ce qui nous a surtout plus dans le livre, à André et moi, c’est la perspective de l’histoire narrée par un enfant et non d’un ou une toxicomane. Ce dernier est doté d’une force de vie incroyable et qui a cette capacité de pouvoir s’évader dans des mondes imaginaires. Ainsi, ces deux éléments nous ont vraiment donné envie réaliser un film à partir de ce témoignage. Ce qu’il faut savoir également, c’est que jusqu’à notre film, il n’y avait jamais eu de fictions traitant de la Platzspitz ni de l’après également. Car une fois que cette scène ouverte de la drogue ait été fermée, on connait moins les trajectoires de tous ces toxicomanes reconduits dans leurs communes d’origine qui n’étaient pas prêtes à accueillir ces personnes. 

Comment s’est déroulée la collaboration avec Michelle Halbheer?

On a passé beaucoup de temps au départ du projet à l’écouter. On a décidé de se focaliser sur la deuxième partie de son livre. On s’est inspiré des anecdotes de Michelle et de son histoire pour créer un scénario. C’est pour cela qu’on dit que le film est inspiré et non adapté du livre. On respecte tout de même l’esprit de ce dernier. Et on a eu un retour de Michelle sur chaque étape d’écriture avec son aval pour valider les faits. Ce fût une très belle collaboration. 

 

Comment avez-vous trouvé votre Mia, le personnage qui incarne Michelle Halbheer enfant ? 

Luna Mwezi est arrivé assez tard dans ce processus de casting. Je remercie les dieux du cinéma de nous l’avoir fait croiser car elle porte le film sur ses épaules. Elle est présente dans toutes les scènes. Et c’est un rôle très compliqué pour une petite fille de 11 ans mais elle est dotée d’un talent naturel. Ce qui assez frappant c’est sa ressemblance physique avec Michelle, ce qui a ajouté une couche émotionnelle inattendue à cette histoire! Une fois qu’on l’a trouvé, on a passé beaucoup de temps avec afin de se connaitre, instaurer un climat de confiance.

 

Comment avez-vous reconstitué ce climat des années 1990 propre à Platzspitz?  

Il y a eu une recherche et un soin particulier apporté à tout ce visuel propre au film. Nous avons collaborer avec le même chef décorateur que sur Recycling Lily: Georg Bringolf. Il connait bien le Zurich des années 1990. Avec son équipe, ils ont fait un énorme travail pour recréer cette atmosphère propre aux années 1990 ainsi que sur la recherche de décor. Ce qui n’était pas évident car en Suisse Allemande surtout, dès qu’un mur est décrépi il est rapidement rénové. Il faut bien les trouver ces espaces qui ont gardé cette patte d’une période qui n’est pas si lointaine.

 

Quel est le message du film? 

Il y a plusieurs messages mais le film est d’abord dédié aux enfants oubliés de cette place mythique de Zurich. Beaucoup d’enfants ont vécu un destin similaire à celui de Michelle mais qui n’ont peut être pas eu la chance de se sauver et trouver une solution pour eux. Bien que la situation se soit améliorée, aujourd’hui, ce type d’histoire est toujours d’actualité, on estime à près de 4000 enfants en Suisse qui vivent avec des parents toxicomanes. Mais si on prend en compte d’autres formes d’addiction comme l’alcoolisme, ce chiffre explose. Il faut rester vigilant cette problématique et attentif à la détresse des enfants.

Sortie dans les salles romandes: le 19 août