Disciplines sans frontières
Portrait de Virgil Abloh ©Dezeen
Les disciplines se retrouvent catégorisées dès le départ. Au moment de choisir notre voie dans le monde des études, nous prenons également la décision que cette discipline constitue notre future profession, persuadés par on ne sait quelle force supérieure qu’une fois ce choix fait, notre voie est toute tracée, et que les limites entre les disciplines ne peuvent pas être brouillées. Un designer un peu à part – Virgil Abloh – nous démontre pourtant le contraire, prouvant par son parcours et sa vision des choses, que ces limites sont en réalité inexistantes, et que dé-compartimenter est devenu nécessaire pour mieux penser. Architecte de formation, il créait sa marque Off-White en 2012, revenant cette année dans le monde des plans et de la construction. Un parcours en zig-zag qui enfonce les portes et sent bon l’avenir.
Virgil Abloh, modèle de la création interdisciplinaire
L’idée d’un parcours logique, de se former pour un métier, puis de recevoir son diplôme, et ensuite d’exercer la profession qui en découle, semble des plus naturelles. Pourtant, lors d’une formation, quel que soit son niveau ou son domaine d’étude, les débouchés sont multiples, mais bien plus important, les connaissances malléables et versatiles. Dans le domaine artistique, qu’il s’agisse de design industriel, de mode, ou encore d’architecture, les limites sont bel et bien posées dans la structure même des institutions qui prodiguent ces formations. Ces barrières, structurant strictement les différents domaines de l’art et de la création, ne font pourtant pas sens. Retournons simplement quelques siècles en arrière pour nous rappeler que des artistes tel que Michel-Ange, Giorgio Vasari, ou encore Raphaël, ne se contentaient pas de gracier une seule discipline de leur talent. Peintres, sculptures, architectes, ancêtres du décorateur d’intérieur, ils semblaient capables d’adapter leur esprit à tout domaine de création. Les apprentissages eux-mêmes mélangeaient les arts, et l’histoire de l’art nous démontre que les limites n’avaient alors pas encore été posées.
Mais retour au temps présent et à un créateur d’un genre nouveau qui se rebelle contre la classification des disciplines, et les lignes toutes tracées qui vont à l’encontre même du domaine créatif. Virgil Abloh, à l’origine de la marque de prêt-à-porter Off White née il y a presque une décennie, démontre par son parcours la sottise de cette séparation des arts. Formé en tant qu’architecte à l’Illinois Institute of Technology, une fois son diplôme obtenu il se dirige contre toute attente dans le monde du design de mode et crée sa propre marque. Son objectif, dès le départ, n’était pas de travailler pour une firme, mais de fonder son propre label dans le domaine de l’architecture. Et comme il le déclarait en décembre dernier lors de la présentation de son dernier projet, « J’ai créé une marque pour investiguer l’architecture, d’une autre manière. Nous pouvons utiliser nos esprits d’architectes pour faire tellement de choses, pas seulement ce que le monde pense que nous sommes supposés faire ». La théorie tient dans ces deux phrases, et manifeste l’idée d’une fluidité créative à l’origine de projets originaux, comme le fut Off White, immédiatement reconnu et recevant dès 2015 le prix LVMH. Après presque dix années passées dans le monde de la mode, la marque continue de vivre, mais le créateur lui élargit ses horizons et retourne à ses premiers amours. À Miami prenait vie un projet architectural majeur en collaboration avec la firme AMO, créant un espace unique en son genre, où la boutique Off White rencontre un espace dédié aux événements, posant alors une nouvelle question : qu’est-ce que l’architecture d’aujourd’hui ? La réponse d’Abloh, et de Samir Bantal, l’homme derrière AMO, est interdisciplinaire. Pour penser cette boutique, l’idée n’était pour eux pas de créer un énième espace de shopping. Il fallait se tourner vers autre chose, une nouvelle vision, différente de l’architecture du passé et du présent. Leurs réponses sont apparues dans la mode, mais aussi l’art, la musique, et les ont conduit à imaginer un espace résolument novateur, remettant en question les codes de l’architecture comme elle est aujourd’hui perçue, mais aussi enseignée, et lui donnant un coup de fouet interdisciplinaire.
Abat la discipline
Si les institutions ont encore du mal à changer leur manière de compartimenter les différentes formes de créations, le changement s’opère lui bel et bien dans le monde professionnel. Aujourd’hui, après avoir obtenu un diplôme en Lettres, en musique, en art appliqué, nos possibilités semblent multiples tandis que les mentalités s’ouvrent enfin à la richesse qui vit dans un parcours différent. Car si une formation dans un domaine nous en livrera tous les secrets, ouvrira notre esprit créatif dans la bonne direction, un esprit formé par un autre parcours ne pourra que nous ouvrir de nouvelles portes dans une discipline qui n’est pas la nôtre. Parfois la création, c’est simplement de dépasser les frontières pour mieux observer le champ des possibles.