Diptyque céramique

Tasse « Corps à corps », Fanny Dioguardi-Liberek (Suisse, 1979), 2010 Faïence moulée, émail noir
Musée Ariana / Don Isabelle Naef Galuba, 2012 – Inv. AR 2021-3-1, Photograpbie: Nicolas Lieber, © Musée Ariana, Ville de Genève

Le musée de l’Ariana nous invite à découvrir non pas une, mais deux expositions d’exception qui nous invitent à porter un regard nouveau sur la céramique. D’un côté, la tasse, cet accessoire du quotidien, cet objet de vaisselle qui depuis des décennies se fait récipient de nos breuvages, sort des réserves du musée pour se joindre aux pièces collectionnées par Lionel Latham. Au programme un siècle de tasses, des pièces les plus simples aux plus ornementées, en passant de l’artisanat à l’art, dévoilant des objets aussi peu pratiques que sculpturaux. Sur le second pan du diptyque, la création contemporaine est à l’honneur, et mélange sans tabou peinture et céramique. Deux artistes britanniques proposent une exposition inédite, rassemblant des pièces qui seront pour certaines présentées au public pour la première fois, ayant été produites pour l’événement. D’un côté Robert Dawson, qui invite son professeur et ami Richard Slee dans l’institution genevoise. Un diptyque céramique qui nous donne deux bonnes raisons de retourner à l’Ariana. 

 

Cent et une tasses

C’est un petit objet du quotidien auquel on ne prête parfois plus vraiment attention. Et pourtant elle nous suit souvent toute la journée, accueillant café, thé, chocolat, ou autres pour ceux qui osent blasphémer. La tasse se met dans tous ses états pour la nouvelle exposition sobrement intitulée Tasses ! du musée de l’Ariana. Cette thématique aussi sobre que surprenante est née dans l’esprit de Lionel Latham, galeriste d’art installé à Genève, qui possède lui-même une importante collection de ces objets, accompagné de sa fidèle soucoupe. « Le thème de cette exposition a été inspiré par une présentation qui remonte à quelques années en arrière et durant laquelle le musée avait consacré la totalité de l’espace aux créations de la manufacture Langenthal. Au départ de l’exposition se trouvaient les 28 tasses que Lionel Latham a sélectionné dans sa propre collection, et il est ensuite venu choisir dans les réserves du musées les 73 autres pièces. Pourquoi la tasse ? Il souhaitait s’intéresser à un objet que l’on trouve dans tous les foyers » explique Stanislas Anthonioz le co-commissaire de l’exposition. 

Si les créations du 20ème siècle, spécialité du galeriste, et l’Europe, champ de conservation principal du musée, ont été sélectionnées pour leurs périodes de création, et leur illustration d’une époque, Lionel Latham a avant tout été guidé par ses coups de cœur. À travers les 12 vitrines de la salle du musée, une décennie est représentée, allant de 1900 à 2020. Au détour des vitrines, la différence entre les époques se fait remarquer. Pendant la première moitié du 20ème siècle, l’artisanat et les créations industrielles dominent. Et puis l’après-guerre voit naître des créations moins pratiques, plus osées, pensées de plus en plus souvent par des artistes, des designers, qui détournent la tasse pour faire de cet objet utilitaire une pièce à part. Des modèles de porcelaine délicate et d’or de manufacture allemande des années 1900, au renouveau des années 1950, offrant des créations aux décors et aux formes variées, pour enfin aboutir aux années 2000 qui laissent place à des surprises plus artistiques que pratiques, la tasse est bien plus complexe et multiple qu’elle n’y paraît. Stanislas Anthonioz de conclure, « Je pense que ce qui rend cette exposition unique c’est que peu importe l’âge, chacun peut s’y retrouver. La tasse est un objet du quotidien qui porte l’esthétique de son époque et s’invite dans tous les foyers ». Vous ne boirez pas la tasse, vous en redemanderez. 

Robert Dawson (1953) Changeover (détail), 2019 Argile et pigment textile sur toile 60X138 cm © Robert Dawson

Lac des cygnes et kaléidoscopes
Passons des tasses à l’abstraction la plus complète. Ici plus question de vaisselle ni d’objet pratique, l’art est au cœur de cette exposition qui mêle sans tabou dans les murs de l’institution céramique, et peinture. Pièces à problèmes est un projet aussi surprenant que passionnant qui réunit deux artistes britanniques. À l’initiative du projet, Robert Dawson, connu pour ses créations céramiques qui nous donnent le tournis, grâce à la technique du transfert (apposition via un procédé technologique d’un motif copié sur un objet préexistant, ou dessiné, qui est ensuite appliqué sur une nouvelle surface) qu’il a longtemps utilisé sur ses pièces. Peintre avant tout, il retourne à ses premières amours, sans abandonner totalement la céramique. Et c’est à Genève, ville qu’il connaît bien, qu’il a décidé de donner vie à son nouveau projet. Familier de l’Ariana, il est venu en étudier les collections, mais aussi l’architecture, les motifs de ce lieu, et toujours grâce à une technique de transfert, a transposé ses motifs sur des toiles. La céramique n’a cependant pas totalement quitté sa pratique, en effet sa technique picturale est ici réalisée avec des argiles crus mélangés à de la colle. Véritables kaléidoscopes une fois démultipliés et juxtaposés, les toiles nous plongent dans une image qu’il nous revient de déchiffrer, de comprendre, par nous-mêmes. Et pour le curieux, des QR codes sont mis à disposition, de manière à découvrir l’objet ayant inspiré l’artiste. 

Richard Slee (1946), Swan, 2019, Céramique émaillée, latex Photographie: © Courtesy Richard Slee and Hales Gallery, London and New York

Mais sur ce projet Robert Dawson n’est pas seul. Il a fait appel à son mentor, et avant tout son ami, le céramiste Richard Slee. Connu pour son remaniement humoristique des objets anglais, il est aussi à l’origine d’une série d’outils détournés dont une partie sera présentée lors de l’exposition. Mais le clou du spectacle ici est sa série de cygnes,  inédite et pensée pour l’espace de l’Ariana, installée selon un angle précis sur les longues tables de la salle du musée. Les pièces céramiques dialoguent alors avec les toiles, sans présenter de lien flagrant, mais poussant au contraire le visiteur à se raconter sa propre histoire, à dérouler son propre récit. « Les deux artistes travaillent dans cette exposition des médiums différents, et leur esthétique, leur langages artistiques, sont très différents. Mais ils se retrouvent tous deux dans cet approche unique du monde, cette volonté d’apposer une lentille sur les objets et de nous forcer à les regarder autrement, avec un regard nouveau » nous confie la curatrice de l’exposition, Sophie Wirth Brentini. C’est alors un mélange gracieux entre peintures enivrantes et lac des cygnes, kaléidoscopes et outils étonnants. Ouvrez l’œil, car l’humour est partout, et avant tout, laissez vous guider vers une  nouvelle vision, une lentille qui s’ouvre sur le monde et vous laissera rêveur. 

 

Tasses ! Regards de Lionel Latham, Musée de l’Ariana, du 18 juin au 31 juillet 2021, www.musee-ariana.ch