Didier Steudler: douceurs rebelles

Prenez un bon zeste d’inventivité, une larme d’humour, un soupçon de naturel et nappez le tout d’une pincée d’audace, vous obtiendrez un chef pâtissier: Didier Steudler. Officiant depuis plus de 10 ans dans les trois restaurants de l’Hôtel President Wilson, ce dissident du goût n’a jamais craint de faire bouger les lignes de la pâtisserie française traditionnelle en laissant libre cours à sa créativité. Son objectif? Faire valser nos lassitudes en émoustillant nos papilles gustatives.

Tête à tête avec un chef pâtissier aussi edgy qu’une crème chantilly aux orties et pour qui la gastronomie est liée à la réflexion, au mental et à la philosophie.

 

Qu’est ce qui vous a motivé à embrasser la carrière de chef pâtissier très jeune?
C’est parce que j’étais très nul à l’école (rires)! Non, c’est parce que j’ai un oncle qui était boulanger-pâtissier. À l’âge de 8 ans, j’allais faire des croissants, finir deux, trois tartes. De fil en aiguille, j’allais donner des coups de main régulièrement. Puis quand je suis arrivé en 3ème année, il a fallu choisir un métier puisque un parcours académique classique ne me convenait pas. Je m’y ennuyais et cela ne me correspondait pas ce système scolaire français où l’individu est peu valorisé dans ses capacités d’apprentissage. J’ai décidé de faire de la pâtisserie. Ma mère avait parlé à mes professeurs en leur demandant de m’aider dans mon orientation et la professeur de dessin avait noté mon coup de crayon et les gâteaux réalisés en fin d’année pour mes camarades! Pour elle, ma voie était toute tracée! Il fallait que je parte en formation. Et comme j’étais trop jeune, j’ai eu droit à 4 ans d’apprentissage! Et c’était à la dure: 18 heures par jour, réveiller au saut d’eau froid…C’était difficile mais mon maître d’apprentissage m’a beaucoup appris et je ne lui en veux pas. Il était multitask et m’a transmis énormément. Je suis sorti meilleur apprenti de Seine-et-Marne, ce qui m’a permis d’accéder au concours national.

Comment avez-vous atterri en Suisse?
J’ai enchaîné en boutique pendant 10 ans. Puis, j’ai un de mes collègues qui m’a parlé de son oncle officiant aux Trois Couronnes à Vevey. Il était convaincu que je correspondais à ce qu’il recherchait. Il m’a bien emballé le projet et je suis parti en Suisse! À 21 ans, j’occupais le poste de chef pâtissier. J’y suis resté 9 mois. Je suis revenu à Paris pour travailler chez Ledoyen pour enchaîner au Plaza Athénée, puis au Fouquet, suivi du Ritz durant 10 ans pour terminer à Genève également depuis une décennie. J’ai suivi Michel Roth. Cela fait 21 ans que je le côtoie. On s’entend et on se complète très bien.

Pour vous un vrai dessert n’est pas un gâteau. Ainsi vous travaillez davantage vos créations comme cuisinier.  Racontez-nous votre dernière création.
Effectivement, la pâtisserie de restauration n’est pas de faire des gâteaux. Notre métier est de créer des desserts à l’assiette qui sont cuisinés. Ainsi dernièrement, on a travaillé sur une nouveauté qui se compose d’une sauce entre la mayonnaise et la vinaigrette. C’est un jus de rhubarbe réduit et lorsqu’on met de l’huile cela émulsionne et on parfume cela avec par exemple de la vanille, des zestes d’orange. On essaie d’avoir des compositions qui enrobent les saveurs. C’est plus évident pour un cuisinier que pour un pâtissier. Ainsi, j’essaie de transmettre cela à des jeunes qui ne connaissaient pas trop pâtisserie. La crème anglaise, c’est bien mais on a vite fait le tour!

Vous être très orienté sur le végétal…
Je ne mange que du bio et je suis crudivore. Ainsi, cela me permet de connaître la nature et sa production saisonnière. J’aime la naturalité et j’ai toujours été très végétal. Je vais là où j’aime aller. Je ne m’impose aucune barrière. En ce moment, je suis sur l’ortie car j’ai découvert qu’elle avait beaucoup de protéines assimilables directement, plus dans une côtelette d’agneau! Si on mélange l’ortie avec une citronnelle, on obtient des choses qui sortent du contexte pâtissier. Parfois je vais trop loin. Par exemple, je mets des champignons en pré-dessert, des petites morilles garnies au caramel avec une pointe de citron. Je suis parfois même à la limite de la salade (rires)! D’ailleurs, il y a quelques années j’avais proposé en pré-dessert planté dans un pot à manger, une asperge cuite avec une vinaigrette citron et à la vanille et des cèpes. Certaines personnes ne comprenaient pas même en cuisine dans la team. Pour moi, c’était juste pour découvrir le produit et ce que l’on peut en faire. On n’est pas obligé de rester avec ses belles asperges accostées de sa sauce hollandaise. On peut réinterpréter autant qu’on veut. J’essaie d’être plus créatif et de pousser les clients à la réflexion.

Vous aimez bouleverser les codes de la gastronomie?
Ce n’est pas ça, c’est juste que la notion de gastronomie est très importante à mes yeux et je crois que la plupart des gens n’en ont pas saisi l’essence. Pour moi, lorsqu’on va manger dans un restaurant gastronomique, on déguste, on apprécie. La démarche n’est pas de se restaurer ici mais plutôt de nourrir l’esprit et l’expérience plus que le corps. On n’aura probablement même faim après le repas.

Votre plus grosse claque gastronomique?
J’en ai eu plusieurs mais celle-ci date de 1995. J’étais allé célébrer mon anniversaire chez Michel Bras. Les assiettes arrivent avec un dessert baptisé la bétonnière. Dans une large assiette, il avait dressé une grosse quenelle de glace vanille et plusieurs tas de sucre aux coloris divers. Le maître d’hôtel nous explique que le concept n’est pas de manger la glace à la vanille mais de goûter les sucres. Ainsi, on mélangeait notre glace comme une bétonneuse avec les différentes propositions dans l’assiette pour aller chercher le sucre et l’alimenter en matière grasse. À l’époque, j’étais au Plaza Athénée qui à cette époque —il y a 20 ans — n’était pas du tout dans la naturalité. C’était impossible que je propose cela. J’avais trouvé cela génial!

 

Les desserts du chef pâtissier Didier Steudler
Hotel Président Wilson, Luxury Collection Hotel, Genève
47, Quai Wilson, 1211 Genève,
Tél. +41 22 906 66 66
www.hotelpresidentwilson.com