De l’életricitié Static dans l’air

©Studio Bollo

Le musicien genevois Arthur Hnatek est de retour avec un nouveau projet qui nous démontre une fois encore la créativité sans limite de ce batteur, mais aussi compositeur, qui parvient une nouvelle fois avec brio à nous hypnotiser. Le Arthur Hnatek Trio dévoile son premier album, Static, qui nous électrise dès les premières notes. Des compositions qui font la part belle à la batterie que nous découvrons multiple, presque mélodique, tandis que l’improvisation garde une place de choix, laissant s’exprimer les idées des trois musiciens, qui nous délivrent des morceaux ne nous donnant qu’une seule envie : déjà les ré-écouter. Artiste aux nombreux projets, aussi bien à l’aise avec la composition pour big bands, qu’avec les projets électroniques en solo – SWIMS résonnait dans le hall du Grand Théâtre de Genève lors de la première édition de ses Late Night – Arthur Hnatek parvient encore une fois à nous captiver avec ce nouvel album envoutant. Rencontre avec un musicien qui ne cesse de surprendre.

Pourriez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours pour nos lecteurs qui ne vous connaitraient pas encore ? Quel est votre background musical, mais aussi vos influences jusqu’à aujourd’hui ? Vous avez étudié le jazz, à la New School of Music, et vous avez déjà proposé des projets très divers, je pense notamment à SWIMS. En un mot, qu’est ce qui vous a fait devenir qui vous êtes aujourd’hui musicalement ?

Je suis né à Genève dans une famille très musicale. J’ai choisi la batterie à 8 ans et suis devenu très sérieux assez rapidement. J’ai eu beaucoup de chance de jouer avec de nombreux groupes étant très jeune et le fait de partir vivre et étudier à New York à l’âge de 19 ans (juste après la maturité) paraissait comme une évidence. J’ai donc un background assez académique et j’ai toujours été autant intéressé par la culture du jazz et l’histoire de mon instrument que par la tradition de la musique écrite, et le répertoire plus classique. La découverte du producteur de musique électronique Aphex Twin a pourtant tout boulversé. Dès lors, je suis surtout intéressé par l’interaction entre l’improvisation, la qualité acoustique et humaine de la musique et la précision, l’ampleur et la puissance de la musique générée par les séquenceurs, les synthétiseurs et plus généralement la musique contrôlée par ordinateur. Mes deux projets principaux aujourd’hui, mon projet de musique électronique SWIMS et mon Arthur Hnatek trio, sont tous les deux issus de cette même recherche en proposant deux angles différents.

©René Mosele

Comment est-ce que ce nouveau groupe s’est-il formé, et quelle était l’idée de départ derrière Static ?

L’idée derrière la formation de ce trio était très simple au début. Depuis ma vie new-yorkaise, j’ai principalement collaboré avec des musiciens d’âges parfois différents, et qui vivent au quatre coins de la planète. Je pense à Tigran Hamasyan ou Erik Truffaz, mais aussi mon quartet Melismetiq qui réunit trois autres musiciens vivant à New York et Reykjavik. Cela parait super mais quand il s’agissait de créer ma propre formation, j’avais envie d’avoir une dynamique «plus locale» et donc de faire appel à des amis et des musiciens que j’admire, et géographiquement plus évident à réunir. J’aimais aussi l’idée de ne pas avoir de piano – un instrument que j’adore et pratique mais qui fait souvent le sujet de mes autres groupes. L’album Static n’est qu’une réaction au contexte que j’ai élaboré pour ce nouveau groupe. Je n’ai jamais vraiment imposé de direction artistique, j’ai simplement laissé faire une situation, entouré par des personnalités en qui j’ai confiance et aidé par des compositions souvent assez courtes et dirigées vers l’interaction collective.

Pour rester sur la composition de votre groupe, quelles sont les qualités sonores que vous recherchez chez les autres musiciens, dans ce projet notamment, mais aussi qu’avez-vous appris de vos autres collaborations sur votre propre jeu et votre approche personnelle de votre instrument ? 

Pour moi la musique est essentielle. Je dois avoir une confiance entière dans les choix et l’esthétique des musicien(ne)s avec lesquels j’aime travailler. Cependant, cela reste presque le plus facile. La deuxième facette est plus vitale encore : il doit avoir une dynamique humaine positive. J’ai remarqué que pour moi cela passe souvent par le fait que j’ai besoin de pouvoir partager des passions plus largement avec mes collaborateurs(trices). Un bon exemple : j’ai l’impression de pouvoir partager ma passion pour la tradition du jazz et l’esthétique du jeu propre au jazz new-yorkais avec Francesco Geminiani autant que je peux passer des heures à discuter et apprendre de sa passion pour le langage informatique et sa capacité à coder des algorithmes d’art génératif. Idem pour Fabien Iannone, que j’admire pour sa musique électronique envoutante ou les longues heures d’improvisation que l’on a partagé avec divers groupes (petit clin d’oeil à «Wän» un autre projet que je partage avec lui). La pluralité des nos intérêts communs crée le caractère unique de notre musique.
Je me sens chanceux d’avoir eu beaucoup d’expériences de «sideman» avec divers groupes. Cela m’a fait énormément grandir en tant que musicien mais également j’ai pu observer les différentes dynamiques qu’un bandleader peut engendrer. Je garde ces expériences très précieusement.

Arthur Hnatek et les membres de l’Arthur Hnatek Trio, Fabien Iannone et Francesco Geminiani ©Sebastian Wagner

 

Sur cet album vous jouez en trio, sans instrument harmonique, ou presque, avec l’électronique, et vous mélangez les styles pour créer quelque chose d’assez unique. Comment en êtes-vous arrivé à ce format et comment ce son et cette esthétique vous sont-ils venus, pour finalement aboutir à un album complet et cohérent comme celui-ci en 2021 ?

Le son du trio avec saxophone, qui fait partie des formations de jazz bien instaurées, me plait beaucoup. Je crois que cela crée aussi beaucoup de place pour la batterie et une approche presque plus mélodique de l’instrument. Dans mon cas, cela pourrait se décrire plus comme une recherche de textures différentes. Sur l’album, je m’efforce de donner l’illusion d’un mélange entre percussions ethniques, sons électroniques et batterie traditionnelle uniquement en utilisant comme source mon instrument acoustique, en manipulant les textures par l’utilisation d’objets posés directement sur les fûts entre autres. Cela fait partie de ma recherche principale avec le trio. Le résultat esthétique de l’album est un mélange entre cette démarche et l’utilisation du studio d’enregistrement comme possibilité de souligner encore plus cette interaction. Nous avons enregistré dans un studio à Winterthur avec Valentin Liechti (ingénieur du son et musicien) qui partage avec moi l’envie de créer un son de batterie unique et une palette propre aux compositions. Cela nous a poussé à creuser des nouvelles voies et notamment l’idée d’avoir un combo batterie et contrebasse très présent et précis et un saxophone qui vole au-dessus noyé dans un espace plus large.

Vous êtes aussi compositeur de Static, pouvez-vous nous parler un peu de votre background en composition ? L’avez-vous étudiée, et comment avez-vous construit votre univers actuel ?

Oui la composition a toujours été un aspect intéressant pour moi. J’ai effectivement étudié principalement la composition à New York. Le piano fait partie des instruments que je joue beaucoup, et ce depuis longtemps. Cela a aussi facilité ma compréhension de l’harmonie et de l’orchestration. J’ai aussi découvert très tôt l’univers de John Adams et de la musique minimale américaine (avec Steve Reich, Philip Glass, etc). Cet aspect de la répétition rythmique que je retrouve dans la musique électronique m’a toujours beaucoup parlé. Un de mes compositeurs préférés en ce moment s’appelle Andrew Norman et sa musique est encore une prolongation de cette démarche. Même, si ces temps, je m’efforce plutôt à simplifier mes compositions dans le but de créer de l’espace pour l’improvisation et l’interaction, j’ai toujours beaucoup d’admiration pour ce domaine.

©Nicole Pfister

Dans Static, quelle place laissez-vous à l’improvisation, est-ce que tout est écrit ou alors laissez-vous plus de liberté à vous-même et à votre groupe, dans une approche qui laisserait alors plus de place à l’interprétation ?

Pour moi, le principal c’est de créer un espace dans lequel un(e) musicien(ne) peut se sentir libre de créer sans peur de «démolir» la composition. C’est la situation que je préfère moi-même quand j’interprète aussi. Les musiciens de mon trio (et moi-même) sont autant confortables à la fois pour jouer des parties très complexes et écrites que pour improviser totalement. Ce que j’aime ensuite c’est de créer un tableau peu clair entre ce qui est écrit et ce qui ne l’est pas. Je souhaite que la musique soit fluide et que ces frontières soient abstraites. Donc si vous me demandez ceci, cela veut-il dire que cette ambition a fonctionné ? (rires) Sur l’album, nous avons aussi caché 4 moments d’improvisations totales. À la fin des 3 jours de studio, j’ai souhaité qu’on relâche cette pression et j’ai proposé d’enregistrer quelque chose de frais et d’improvisé. Cela a duré presque 2 heures. Il a fallu ensuite écouter et trouver des moments qui pourraient donner l’illusion d’une composition et de les insérer dans l’album pour créer une autre dynamique. Je ne vais pas révéler où sont toutes ces parties mais je peux dire que la dernière pièce «The End» est exactement l’inverse… c’était en réalité le début de cette longue improvisation.

Et enfin, qu’est-ce que nous pouvons vous souhaiter pour l’avenir ? 

La même chose que je souhaite à tout le monde : une vie pleine de conscience, de paix intérieure et d’intentions positives. Pour moi personnellement, cela veut dire continuer à essayer de trouver un chemin vers une identité musicale propre et unique.

Static, Arthur Hnatek Trio, disponible dès le 22 janvier 2021 en version CD et Vinyl.

Pour commander l’album, rendez-vous sur https://arthurhnatektrio-whirwind.bandcamp.com/album/static et pour en savoir plus sur l’actualité d’Arthur Hnatek, www.arthurhnatek.com