DAMIEN MERMOUD : LA SIMPLICITÉ, DU RAISIN AU VIN

 – Euh, ce serait pas du pinot ce que tu nous as servi ?
– Ahhhh meeerde je pensais ouvrir le Gamay ! Tu vois je me fous de la gueule de ceux qui me reprochent que mes étiquettes se ressemblent… c’est con, c’est le pire moment pour goûter le Pinot, il goûte pas du tout, après deux semaines en bouteille le fruit est encore juteux, mais là après trois semaines, il s’est refermé, il est plat, sans peps… comment j’ai pu me tromper, j’aurais jamais dû vous le faire goûter !
– Eh ben, c’est un sacrément bon pire moment…

Damien Mermoud, c’est la représentation de toute la contradiction qui fait du bien au métier de vigneron : de la simplicité avant tout, de la curiosité, l’apprentissage par l’expérience, une proximité avec la nature sans tomber dans les modes, une recherche constante de l’élégance. Ancien descendeur professionnel en vélo, il sait prendre des risques mesurés, sentir les modulations de la terre, s’arrêter. Et nous transmettre sa passion, le temps d’une soirée, sorte de veillée d’armes avant d’attaquer les vendanges 2018.

Un terroir genevois, des cépages qui le révèlent

« Les vignes, c’est un peu comme le Monopoly. Si tu tombes sur Paradeplatz, tu es bien servi ». Ses 4.7 hectares de vignes Paradeplatz lui suffisent, il n’a pas envie de grandir, pour continuer à tailler ses vignes lui-même, penser précisément chacune de leurs lignes. Sur ses vignes disséminées sur le coteau de Lully, le sol est très changeant. La partie raide de sa parcelle « l’enfer » est composée de mollasse (une roche sous-marine de sols profonds), à la terre rouge, avec peu de stress hydrique mais très calcaire, exposée sud, sud-est, à d’autres endroits morainique, chacune ses particularités qu’il faut comprendre. Ses plus vieilles vignes d’Aligoté en sélection massale ont 40 ans, 38 ans pour le Pinot noir. Et il est particulièrement attaché à chacun de ses ceps, qu’il n’arracherait pour rien au monde, même s’il y en avait de plus adaptés au terroir. Quand on lui demande s’il aurait envie de tester l’adaptation de certains cépages sudistes au sol genevois, sa langue claque : « chacun fait ce qu’il veut, mais pour moi, arracher du Gamay pour planter du Cabernet Sauvignon, c’est pas mon délire. Le Gamay est le cépage le plus intéressant à travailler à Genève, avec le Pinot noir, la Mondeuse et le Cabernet franc. Ils révèlent le terroir genevois, car ce sont des cépages à marqueur faible, avec une belle verticalité » !

 

La biodynamie, la nature, le bon sens

« Si tu attends que le raisin fermente tout seul dans ta cuve, à coup sûr ça part en couille. Quand ça sent le vernis à ongle, tu sais que tu t’es planté quelque part ». Pas de tolérance pour la déviance, alors même qu’il est considéré comme un vigneron « nature ». Ses vins n’ont pour la majorité pas de soufre ajouté ou dans des quantités minimales à la mise en bouteille pour stabiliser le vin. Mais il ne se revendique pas en bio, biodynamique, nature ou autre. Il traite ses vignes avec des doses minimales, cueille ses plantes et prépare décoctions, tisanes et applique les principes de la biodynamie. « Oui, peut-être que ça fait un peu folklo-mystique, mais ça me paraît finalement plutôt logique de tenir compte du calendrier lunaire pourvu que la météo ait la priorité, mais c’est surtout important d’avoir une approche agronomique qui redonne des outils à l’agriculteur, sans qu’il y ait de recette fixe. C’est une prise en compte globale des conditions de son terroir, des différentes influences et des interactions entre les plantes. C’est un truc de dingo, je sème dans mes vignes du blé, de l’orge, de la féverole, plein d’autres trucs, ça favorise le développement racinaire, plus besoin d’engrais grâce aux trèfles et autres fabacées qui larguent de l’azote, enfin c’est un joyeux bordel dans mes vignes (enfin je te rassure, elles sont bien cadrées quand-même!). 90% de mon boulot se fait à la vigne, rendre la terre riche et fertile. Réaliser des vins techniques, avec des machines pour micro-oxygéner, peu pour moi. Tout ce que je fais est simple: à mon avis, il faut éviter le plus possible les techniques œnologiques pour ne pas masquer le potentiel des terroirs par des pratiques de cave standardisantes ». Idem pour les levures: il se dirige vers toujours plus de levures indigènes présentes dans la vigne qu’il cultive en pied de cuve, mais toujours en les analysant au microscope pour être sûr qu’elles ne contiennent pas de levures déviantes.

Ses idées claires, il les tient de son père qui lui a transmis un vignoble sain, surtout de son caractère de fonceur pragmatique, mais aussi de ses soirées inspirantes passées avec des Overnoy, Ganevat, Denogent. « Ça me fait un peu mal de dire ça, mais bon, les Français c’est quand même de la poésie. Il y a vraiment des petits vignerons qui sont all-in, ils prennent des risques de fou, sont des écorchés-vifs qui roulent en 4L et sont prêts à tout perdre pour tenter un coup de magie. Je trouve magnifique ce que font Eric Pfifferling, Hervé Souhaut ou Maxime Magnon ».

On en a quand-même profité pour se désaltérer

Pinot blanc 2017: passé en barrique de 228L et en amphore, avec un potentiel de garde de 8-10 ans. 15 mg/L de soufre ajouté à la mise, pas de bâtonnage, pas de soutirage. Le tout est équilibré par une belle acidité qui cisaille et une touche poivrée. Comme il le dit « j’ai pas envie de rechercher des vins gras comme des cochons ». Mais malgré cette vivacité, il y a un très beau gras qui accompagne ces parfums de poire Williams, dont on ne voudrait pas se passer. Le millésime 2016 est plus sur la fleur blanche, avec une intéressante amertume (pas « pommadé-chiant » comme dirait Damien).

Muscat 2016: « ça pète, à l’apéro ça le fait, ça déglace les papilles ». Et oui, mais tout cela sans aucun sucre résiduel et un cassis qui sauvignonne.

Aligoté 2017: Wouaw! Cuvée passée dans une barrique vieille de 12 ans pour ne pas marquer le vin, c’est beurré mais c’est fin, il y a du coing, de la minéralité, superbe vin (aussi sur 2016, mais 2017 s’annonce exceptionnel). Très intéressant de déguster le millésime 2011, étonnant de peps malgré un nez réduit. Il y a des picotements de sauge, une viscosité de chardonnay et toujours cette acidité en fil conducteur, un poil de carbonique, mais surtout pas un début d’oxydation (« dès qu’on sent la noix de l’oxydation, il n’y a plus de retour en arrière, sauf pour les vins jaunes du Jura, où le côté oxydatif est voulu et contrôlé »).

Pinot noir 2017: le contact est léger, peu expressif au nez au vu de sa récente mise en bouteille, mais le toucher est léger et gracile, fluide, une encre de cerise noire coule et persiste. Le Pinot noir 2015 confirme le potentiel du 2017, toujours le même fruit noir et une structure qui ferait presque penser à des grappes entières. Il est droit, franc, il fraisotte. Voilà un grand pinot noir genevois, un tout grand même. Et puis petit retour en arrière avec un Pinot noir 2005 (lieu-dit Bozard, la meilleure parcelle): à l’aveugle, quelle surprise de trouver tant de fruit pour un pinot genevois de 13 ans, même si la finale est un peu âpre. Un bel exemple du potentiel de garde des vins genevois, avec un cuvage long et peut-être un peu plus d’extraction que dans les cuvées actuelles.

Cabernet franc 2017: attention attention, grosse bombe en devenir. Un nez artichaut, tomate séchée. Un poivron vert qui ressort en bouche, c’est grand, c’est équilibré, entre fluidité et tension, avec une amertume qui aidera bien au vieillissement.

 

– « La dernière fois qu’on s’est vu, tu disais que tu ne faisais pas des vins de garde.

– Disons que faire de la garde pour de la garde, je trouve absurde. J’aime la fraîcheur, mais c’est sûr qu’il ne faut pas qu’un vin soit prêt trop tôt non plus, il faut lui laisser le temps de se faire. Ceux qui sont prêts l’année suivante, il y a anguille sous roche.

– Alors, à boire dans les 2 à 6 ans?

– Ecoute, je viens de m’ouvrir une Cuvée Noémie 2001 l’autre jour, c’était bluffant! Du coup… Enfin tu verras, on a tous les millésimes depuis les années 80 dans presque toutes les cuvées, lorsque tu reviens on se fait un petit retour en arrière.

– Je vais l’écrire pour me le rappeler ».