Bryana Fritz donne corps aux saintes

On ne naît pas sainte, on le devient. Et ce, bien plus tard. Jeanne d’Arc, Marguerite Porete ou Catherine de Sienne n’auraient jamais imaginé être canonisées de leur vivant. Dans son projet Submission, Submission, Bryana Fritz se réapproprie ces histoires dans une série de cinq portraits à la manière d’une hagiographie amateure. Une performance troublante où corps, outils digitaux et visuels et même public fusionnent pour narrer voire incarner. Un spectacle à voir du 12 au 14 octobre au Pavillon ADC. Rencontre. 

 

Pourriez-vous expliquer ce qu’est un « hagiographe amateur » et comment il se reflète dans votre performance Submission Submission ?
J’aborde ce concept au début du spectacle. Il comporte deux éléments : « amateur » et « hagiographe ». Je travaille dans le cadre d’un genre médiéval appelé hagiographie, qui consiste à écrire des biographies de saints. C’est un genre biaisé, très différent d’une biographie traditionnelle. Son objectif est de façonner la vie du saint de manière à convaincre le public que cette personne mérite d’être canonisée. C’est une approche théologique visant à narrer la vie d’une manière qui la rende sacrée, afin que nous puissions ressentir le divin. L’aspect amateur est quelque chose que j’ai réalisé lorsque j’ai commencé à travailler sur ce vaste genre.

Pourquoi avez-vous choisi cette thématique ?
J’ai grandi au sein d’un foyer très religieux (chrétien). La pensée théologique fait partie intégrante de mon identité. Cependant, en tant qu’homosexuelle, ma perspective sur la religion a évolué de manière significative. En abordant cette thématique, j’ai voulu révoquer l’exclusivité des saintes attribuées à l’Église et les rendre accessibles au grand public.

Submission Submission explore les stratégies utilisées par les saintes médiévales pour subvertir leur vie confinée. Pourriez-vous fournir un exemple concret de l’une de ces stratégies ?
Les saintes sont également des figures féministes. Elles n’étaient pas mariées, elles se détournaient des normes de féminité et utilisaient leur corps comme outil de résistance, notamment par le jeûne, manipulation corporelle visant à atteindre un état spirituel supérieur. C’est ainsi que le titre m’est venu. Dans l’un des portraits, l’une des saintes déclare : « Ce que vous entendez ne sont pas mes propres paroles ; elles appartiennent à Dieu qui m’a envoyé ». C’est une stratégie intéressante, car à l’époque, la parole d’une femme n’était souvent pas écoutée. Elles utilisaient donc la voix divine pour valider leur discours, renonçant ainsi à leur propre voix pour en acquérir une autre. Cela s’apparente à une forme de soumission.

Pouvez-vous expliquer le processus de sélection des saintes et comment elles contribuent à la narration globale de Submission Submission ?
J’ai l’impression que les saintes parviennent à moi. Je lis énormément d’histoires médiévales pendant mon temps libre, ce qui me permet de découvrir des figures intéressantes à travers la littérature. Les saintes semblent se manifester parce que je plonge profondément dans ce sujet. Je m’imprègne de leur histoire grâce à la lecture. Une sorte de message subliminal dans les livres m’amène à créer un portrait. Chacun nécessite une période de réflexion avant d’être réalisé et interprété.

Quelles émotions ou réflexions aimeriez-vous susciter chez les spectateurs ?
D’habitude, je ne me projette pas beaucoup sur les réactions du public lorsque je crée une performance, car je préfère qu’ils se fassent leur propre idée. Cependant, pour Submission Submission, j’ai une idée plus précise de ce que j’aimerais que le public ressente. J’aimerais créer une tension potentielle, une incertitude chez les spectateurs. Je veux qu’ils perçoivent une certaine imprévisibilité dans le spectacle, qu’ils se sentent étrangers à ce qui se passe sur scène. Est-ce divin, démoniaque ?

 

 

 

Submission Submission de Bryana Fritz
12 au 14 octobre 2023

Pavillon ADC
Place Sturm 1, 1206 Genève
https://pavillon-adc.ch