Bodmer en scène

WERNER STRUB (1935-2012), Mixte L’Oiseau vert dans L’Oiseau vert de Gozzi – MeS : Benno Besson. Théâtre de la Comédie et en tournée. 1982. Tissu, cuir, fourrure, plumes, corne, élastiques, fermeture éclair., © Giorgio Skory

 

Trésor plus confidentiel de la Fondation Martin Bodmer, la collection de pièces liées au monde du théâtre est pourtant des plus impressionnantes. Dans une exposition inédite organisée en dialogue avec l’Association Werner Strub et les masques créés par l’homme en personne, nous découvrons le monde du théâtre comme nous ne l’avons jamais vu. Si la scène n’est pas de la partie, l’art est pourtant toujours des plus vivants. Masques & Théâtre nous entraîne sur les traces du passé, de l’Antiquité à Molière en passant par Shakespeare, entre écrits et visages. Première édition imprimée d’un certain Hamlet, manuscrit de Ménandre datant du IIIème siècle égyptien que l’on croyait à jamais perdu, la collection nous donne des frissons. En entrant en conversation avec l’artisanat scénique, ces écrits qui ont fait l’histoire des arts de la scène, et continuent de faire vibrer nos théâtres aujourd’hui, s’accompagnent de masques donnant vie à ces histoires, ces dialogues. Quand le temple du livre monte sur scène. 

 

Manuscrits précieux
Nous pensions que la Fondation Martin Bodmer nous avait révélé tous les trésors de sa collection, mais encore une fois nous nous trompions. Le théâtre, domaine à part entière dans le monde de la littérature qui a traversé les époques, les continents, les civilisations, constitue un nouveau pan de cette collection en grande partie inédite et dévoilée cette année au public. Parmi les pièces présentées lors de cette nouvelle exposition, nous retrouvons tous les grands noms des arts de la comédie et de la tragédie qui ont forgé la culture actuelle qu’ils influencent encore de nos jours. Véritable frise chronologique de l’art dramaturge, Masques & Théâtre nous emmène de l’Antiquité au 20ème siècle à travers des pièces d’exception. Martin Bodmer nous prouve une nouvelle fois son éclectisme en possédant dans son imposante collection une édition originale de Mann ist Mann par Bertolt Brecht datant de 1926, et parallèlement une édition princeps d’Euripide qui nous fait faire un bond en arrière jusqu’à 1503. Sophocle, Jean-Jacques Rousseau, Molière, et Shakespeare enrichissent à leur tour cette collection qui nous permet de faire un tour d’horizon de l’art de la scène, de ses plus anciens temps à l’aube de la modernité.

WILLIAM SHAKESPEARE (1564-1616), Mr. William Shakespeares Comedies, Histories, & Tragedies. Londres, printed by William Iaggard, and Ed. Blount, 1623, première édition collective dite « First Folio », un des mythes de la bibliophilie internationale Cologny, Fondation Martin Bodmer. © Giorgio Skory

Les visages des textes
Mais sans représentation que seraient ces textes ? Les écrire est un début, les représenter une suite vitale. Et pour leur donner vie, théâtre et masques vont de pair. Ces émotions, ces personnages de la dramaturgie antique à la plus moderne, prennent alors vie à travers le travail de Werner Strub qui reste l’un des créateurs les plus importants de l’histoire de l’art scénique. Créateur de masques autodidacte, il commence sa carrière en 1959 avec ses premières créations en cuir, et travaille ensuite pour des productions majeures en Suisse, avant de s’établir comme constructeur de décors au Théâtre de Carouge. Sa carrière brillante et ses masques des plus extraordinaires le mèneront à la création de ces visages de papiers mâchés pour la Commedia dell’arte, l’entrainant encore dans de nombreuses collaborations de prestige. Et cet attrait pour son travail se comprend aisément. Son masque de L’Oiseau Vert reste l’une de ses plus célèbres créations, fait de plumes, de tissu et de cuir, il donne vie à ce personnage étrange sous des traits d’une rare beauté. Tantôt effrayant, à l’image d’Oedipe dans Edipo Tirano de Sophocle, tantôt d’un romantisme discret tel que le masque créé pour le personnage de l’Enfant conduisant Tiresias dans cette même pièce, il sait capter l’essence de ces personnages. Une collaboration unique et intime entre dramaturges du passé et créateur du présent qui nous rappelle que l’art de la scène n’est pas un monde solitaire. Au contraire, si l’écrivain est au départ de cette création, le théâtre demande tout un monde pour prendre vie, et Werner Straub a su donner corps aux émotions et histoires du passé, qui continuent avec grâce de traverser notre présent. 

WERNER STRUB (1935-2012), Mixte L’Oiseau vert dans L’Oiseau vert de Gozzi – MeS : Benno Besson. Théâtre de la Comédie et en tournée. 1982. Tissu, cuir, fourrure, plumes, corne, élastiques, fermeture éclair., © Giorgio Skory

 

Masques et Théâtre, jusqu’au 8 août 2021, Fondation Martin Bodmer, 19-21 Route Martin Bodmer, 1223 Cologny, Genève, https://fondationbodmer.ch