Au-delà des guerres

Tapis tissés à la main imaginés et produits en Afghanistan avec de la laine Ghazni, typique du pays. ©Lorenzo Tugnoli

 

Certains pays nous semblent avoir été en guerre depuis la nuit des temps. À la simple évocation de leurs noms, nous imaginons des villes détruites, des militaires dans les rues, des familles incomplètes. L’Afghanistan, le Yemen, ou encore l’Irak, nous évoquent seulement l’histoire de guerres sans fin. En réalité, nous ne connaissons rien de ces pays, rien d’autres que ce que les informations nous présentent, une image négative, sanglante, leur collant à la peau. Et pourtant, des récits différents s’écrivent sur leurs terres, des traditions persistent, la vie continue de se frayer un chemin dans les décombres de l’Histoire. L’entreprise sociale ISHKAR, née à Londres, est imaginée par un duo qui fut lui-même témoin de cette autre facette, dès lors déterminé à changer notre regard sur ces pays trop vite catégorisés. Au coeur de ce projet, la volonté de montrer au monde entier l’artisanat créé en ces lieux, et de faciliter le commerce de ces créateurs oubliés. Découverte d’une histoire cachée qui nous emmène au-delà des guerres.

Derrière ce mot énigmatique, ishkar, se cache une signification des plus poétiques. En afghan, il désigne une plante du désert aux propriétés alchimiques cachées, qui ne se dévoile qu’à celui qui sait les chercher. Les co-fondateurs Edmund Le Brun et Flore de Taisne n’auraient pas pu trouver de meilleur mot pour porter leur projet. Tout a commencé lorsqu’ils vivaient en Afghanistan, où ils travaillaient pour l’ONG Turquoise Mountain qui a pour but de faire revivre les lieux historiques de ce pays, en fournissant du travail à la population locale. À travers leurs différentes missions, ils ont alors découvert la richesse de l’artisanat dans ce pays, mais également la pauvreté qui l’accompagnait. En guerre depuis trop longtemps, catégorisé comme pays dangereux, l’Afghanistan a été déserté par les touristes, et la vente directe est devenue quasiment inexistante, tandis que le manque de moyen empêchait les créateurs locaux d’exporter leurs objets. C’est de cette richesse artisanale qu’est né Ishkar. L’aventure a commence avec le dernier souffleur de verre de Kabul, Ghulam Sekhi, qui créait des pièces distinctes et propres à la région dans un style artisanal des plus typiques. Sa réserve remplie de milliers de verres lança le projet, et en quelques mois les 5 000 pièces étaient écoulées. À ce jour, Ghulam Sekhi a créé et vendu plus de 17 000 créations en verre, et a pu développer son entreprise en embauchant des apprentis. Une première réussite qui allait mener à une aventure encore plus vaste. 

©ISHKAR a collaboré avec l’artiste textile syrienne Zena Sabbagh pour créer cette couverture tissé à la main, le ‘Plaid Beirut’

L’enjeu était alors pour les jeunes entrepreneurs de changer le regard occidental sur ces pays mal connus. Leur désir de promouvoir l’artisanat afghan devait aller de paire avec la nécessité de faire tomber les préjugés, et de prouver que ces objets possédaient une valeur unique, seraient des pièces qui auraient leur place dans nos maisons. Car malgré les conflits incessants, les artisans n’ont pas cessé d’imaginer, de créer, de faire grandir leur art, continuant à produire de la beauté au milieu des guerres. L’aventure s’est alors poursuivie en Irak, au Pakistan, ou encore en Syrie, à Beirut. Là-bas Edmund et Flore rencontraient Zena Sabbagh, une artisane textile employant des femmes de la région et des pays voisins pour créer des tissus brodés à la main. De cette rencontre sont nés de collaborations qui contribuent aujourd’hui au succès d’Ishkar. Mais au-delà de leur volonté de nous faire découvrir les richesses de ces pays oubliés, le duo crée de véritables opportunités pour ces artisans, ne prenant alors pas le rôle d’une ONG, mais celui d’un intermédiaire, qui leur permet de se faire connaitre par-delà les frontières, et de vivre de leur art. Ishkar c’est alors bien plus qu’une plateforme de vente, c’est avant tout une ouverture vers ces pays que nous ne connaissons pas vraiment, une fenêtre sur un monde duquel nous nous sommes trop éloignés, et qui a pourtant tant à offrir.