Antoniolo, joyau du Nebbiolo

Il y a des vins dont on ne se lasse pas, des vins d’âme, à la personnalité toujours bien trempée, qui peuvent se montrer sous leur meilleur jour comme dévoiler leur caractère sauvage et grognon si on les réveille au milieu d’une sieste, mais qui nous procurent toujours les plus grandes émotions. Les vins du domaine Antoniolo de l’appellation Gattinara dans le Haut-Piémont, font partie de ceux-ci. Un domaine qui porte le cépage Nebbiolo à son firmament et que nous suivons religieusement, année après année, toujours avec émerveillement.

Le renouveau de Gattinara

Lorsque nous pensons aux vins du Piémont, c’est le plus souvent aux appellations Barolo et Barbaresco du sud du Piémont dans les Langhe, sur leurs collines essaimées de villages perchés. Mal nous en prend ! Le Haut-Piémont a une riche histoire viticole, avec la DOCG Gattinara en tête de liste parmi les appellations les plus réputées. Victime du phylloxéra et de l’industrialisation, il faudra attendre les années d’après guerres pour que quelques vignerons en quête de qualité et d’indépendance reprennent le flambeau et portent l’appellation à son sommet. Parmi eux, Mario Antoniolo, qui embouteille ses premiers Gattinara avec le millésime 1955. Prenant la suite de Mario, c’est sa fille Rosanna qui redonne à Gattinara ses lettres de noblesse. Ce sont aujourd’hui ses enfants, Lorella et Alberto, qui veillent au grain.

La fraîcheur dans toute sa splendeur

A Gattinara, le Nebbiolo appelé localement Spanna, règne en maître. Les vignes poussent en légère altitude (250 à 450 mètres) le long des collines de la Vallée de Sesia. Le terrain est d’origine volcanique, avec une roche mère affleurante riche en granit et porphyre, et une terre très acide. Comme en Bourgogne, l’appellation est disséquée en « climats », dont une vingtaine sont officiellement identifiés. Parmi les plus réputés, ceux du domaine Antoniolo, Vigneto Castelle, San Francesco et le plus fameux, monopole du domaine, Osso san Grato.

Les vins de Barolo et Barbaresco sont souvent comparés à ceux de la Bourgogne, même si à notre sens la finesse et la fraîcheur aromatique des vins de cette dernière est plus proche de celle du Haut-Piémont. Sans doute grâce à la fraîcheur nocturne dévalant du Mont-Rose voisin, à la plus forte humidité, à la luminosité plus faible à l’automne pour une maturation lente et au sol plus acide favorisant une structure fine des vins. Les vins de Gattinara ne sont pas flamboyants ou musculeux, mais jouent sur le registre de la grâce et d’une sobre élégance. A la dégustation, on retrouve fréquemment des notes d’herbes médicinales, de fruits rouges framboisés-groseillés, de poivre blanc, de métal rouillé, de violette ou rose séchée. La bouche est soyeuse malgré l’acidité qui est toujours au rendez-vous et permet de trouver un équilibre, même sur les millésimes chauds. Les tannins sont serrés, souvent accrocheurs et humides, mais toujours souples. Avec l’âge, la texture se suavise, et ce qui pouvait être pris dans la prime jeunesse pour de l’incivilité, se mue en une grande délicatesse aristocratique.

 

Azienda Agricola Antoniolo

L’Azienda Agricola Antoniolo propose quatre cuvées différentes, un Gattinara Classico, assemblage de différents climats de Gattinara, Vigneto Castelle, une parcelle de plateau au sol très acide, San Francesco, vignoble de côteau de 3 hectares regardant l’ouest et abritant une chapelle célébrant Saint François (c’est souvent la parcelle réputée pour être la plus fraîche et élégante). Puis l’Osso San Grato (Saint Patron des vignerons locaux), parcelle exposée sud, avec la roche mère à 50 cm du sol, monopole du domaine Antoniolo. C’est un terroir d’exception, le plus réputé de Gattinara.

Double verticale du domaine Antoniolo, San Francesco et Osso San Grato

Double verticale d’anthologie

Grâce à la folle et généreuse envie d’un ami de comparer les deux parcelles emblématiques du domaine, nous avons remonté les années, en appréciant les différences d’expression des deux terroirs sur des millésimes aux profils très variés…

2014 : sur ce millésime à la production réduite, pas de cuvée San Francesco. L’Osso san Grato est juteux, fluide, fraisotant. C’est un miracle sur ce millésime compliqué.

2013 : le claquant et la fraîcheur du San Francesco est cinglante, il bourguignone avec un nez minéral et de rose poivrée tout en gardant une trâme serrée, alors que son grand frère l’Osso San Grato est plus fermé. Il ne laisse pas indifférent, mais n’est pas commode. Un ermite mal rasé aux tannins collants, au nez de cendre froide, dans lequel sommeille Epicure. L’austérité qu’on aime !

2012 : l’Osso San Grato se livre dans l’obscurité, c’est un puits profond de goudron et de fruits noirs à la finale carrée, alors que le San Francesco est suave et âpre à la fois, avec des envolées de guimauve et de cuivre.

2011 : millésime sous-estimé, il est magique chez Antoniolo. Sur le San Francesco, le nez de violette nous fait tourner la tête, alors que la premier contact est tout en souplesse et les tannins surfins. L’Osso San Grato est archétypique, tout en équilibre sur ce millésime charmeur et chaleureux. C’est un vin envoûtant et racé : notes de havane, bouillon de boeuf, rose séchée, prune fraîche, âpre mais fluide.

2010 : coup de cœur de la soirée, ce millésime est monumental. La texture du San Francesco est velours pur, entouré de notes de tabac blond, d’orange et de chocolat. Tout y est, il évolue minute après minute, un danseur classique, sévère, précis et aérien. L’Osso San Grato est plus végétal et truffé, sombre, il avance lentement à pas mesurés, avec une acidité perçante qui nous bouscule sans nous secouer, le tout encadré par une structure ferme: le vin complet par excellence. Chanceux ceux qui en ont encavé en quantité !     

2009 : millésime solaire, mûr et dense. Le San Francesco girofle, avec une profondeur pulpeuse, alors que l’Osso San Grato flirte avec les essences florales et de prune macérée. Une grosse amplitude qui confite.

Nous terminons sur un Osso san Grato 2008 à l’approche végétale, aux notes typiques de bouillon de bœuf japonais et de salé-épicé très gattinarien. Il n’est ni lourd, ni léger, ni puissant, mais à la fois tellement Osso, une sorte d’Emile Zátopek au style peu conventionnel, mais si touchant.

Une dégustation qui a rassasié notre curiosité, mais qui a confirmé que les vins d’Antoniolo sont à ce point profonds, que leur plus bel écrin est une attention simple, à étirer le long d’une soirée en l’observant cheminer.