Yayoi Kusama, pois lourd

Infinity Mirrored Room – The Hope of the Polka Dots Buried in Infinity Will Eternally Cover the Universe, 2025 © YAYOI KUSAMA Photo: Mark Niedermann

Nul besoin de lire son nom : il suffit d’un pois, d’une citrouille ou d’un miroir pour reconnaître sa signature cosmique. Ses Infinity Rooms ont fait chavirer des générations de smartphones, ses citrouilles ont envahi les musées et les mers, ses pois hypnotiques ont même ponctué des collections signées Louis Vuitton ou MAC cosmetics. De New York à Paris, de Berlin à Londres, l’inclassable Yayoi Kusama sème sa folie douce et son génie répétitif sur le monde entier. À la Fondation Beyeler, la prêtresse de l’infini déroule un univers à perte de vue, entre vertige et lumière — un voyage à travers les reflets d’une âme qui n’a jamais cessé de pulser. Plongée dans le cœur battant d’un esprit qui ne connaît ni pause ni frontière.

KUSAMA AVEC YELLOW TREE / LIVING ROOM À LA TRIENNALE D’AICHI, 2010 © YAYOI KUSAMA, Courtesy of Ota Fine Arts, Victoria Miro, David Zwirner

On entre chez Kusama comme on bascule dans un rêve éveillé. La Fondation Beyeler devient jusqu’au 12 janvier 2026 un vaisseau spatial tapissé de miroirs, un sanctuaire où chaque reflet renvoie à l’infini, où chaque pois devient battement de cœur. Ici, tout se répète, se multiplie, se perd. Et dans cette perte — paradoxalement — on se retrouve.

À 95 ans, Yayoi Kusama ne peint plus seulement le monde : elle le répète jusqu’à le faire disparaître. Entre hallucination et dévotion, son œuvre dialogue avec la lumière, explore la fragilité de l’ego et la beauté du vertige.

L’infini comme refuge
Depuis plus de sept décennies, Kusama construit des univers où le silence a des couleurs et la solitude, des reflets. Dans ses Infinity Mirror Rooms, le visiteur se dissout dans la lumière. Il devient fragment, pulsation, poussière d’étoile. Ce qui semble décoratif devient soudain métaphysique : la répétition devient mantra, l’espace se fait mental. Kusama n’offre pas de réponses, elle propose un abandon — celui de l’individualité au profit de la multitude. Ses pois s’étendent, ses miroirs se déploient, et soudain tout est relié.

YAYOI KUSAMA, INFINITY MIRRORED ROOM – ILLUSION INSIDE THE HEART, 2025 Vue intérieure, Acier inoxydable poli miroir avec miroirs de verre et acrylique coloré, 300 x 300 x 300 cm, Collection de l’artiste © YAYOI KUSAMA

De la solitude à l’universalité
Yayoi Kusama, c’est l’histoire d’une femme qui a transformé sa douleur en constellation. Internée volontairement depuis des décennies dans un hôpital psychiatrique de Tokyo, elle vit entre deux mondes — celui de la création et celui de la guérison. Ses toiles, ses sculptures, ses performances sont autant de respirations dans l’asphyxie du réel. Là où d’autres fuient la répétition, elle y trouve refuge. Là où d’autres craignent la folie, elle y voit une source de lumière.

YAYOI KUSAMA DANS SON ATELIER À NEW YORK EN 1971 PHOTOGRAPHIÉE PAR TOM HAAR Photo : Tom Haar © YAYOI KUSAMA

Catharsis visuelle
Ses citrouilles géantes deviennent des totems maternels, protecteurs et sensuels. Ses Infinity Nets, des océans d’obsession où le geste répété mille fois se transforme en méditation. Chaque œuvre est un poème visuel sur la perte, le désir et la renaissance. Kusama ne cherche pas à séduire, mais à guérir — et dans son vertige, on trouve une forme rare de sérénité.

YAYOI KUSAMA, SELF-PORTRAIT, 1972 Collage, pastel, stylo-bille et encre sur papier, 74,4 x 44 cm, Collection de l’artiste © YAYOI KUSAMA

Il y a quelque chose d’enfantin et de divin dans l’univers de Yayoi Kusama. Ses œuvres nous ramènent à cette première fascination pour la couleur, la forme, le vertige. Elles nous rappellent que l’infini n’est pas une abstraction, mais un état d’esprit.

Le miroir comme passage
Pour la première fois en Suisse, la Fondation Beyeler dévoile plus de 300 œuvres de l’artiste japonaise, retraçant une vie entière de création, d’excès et de lumière. Une nouvelle Infinity Mirror Room a été conçue spécialement pour l’occasion, enveloppant le spectateur d’un nuage de reflets infinis. On entre, on respire, on disparaît. Et quand on en sort, le monde semble plus vaste — ou peut-être simplement plus vrai.

Infinity Mirrored Room – Illusion Inside the Heart, 2025 © YAYOI KUSAMA Photo: Mark Niedermann

Fondation Beyeler Baselstrasse 101, Riehen/Bâle

Jusqu’au 12 janvier 2026

www.fondationbeyeler.ch