Who cares ? Le MICR réécrit l’histoire de l’humanitaire

© Aline Bovard Rudaz

© Aline Bovard Rudaz

À une époque où la question du genre est devenue omniprésente, elle vient alors interroger les nombreux stéréotypes qui se sont établis dans notre société. L’univers de l’humanitaire n’y a pas échappé, avec depuis toujours un grand nombre d’idées reçues qui lui collent à la peau. La nouvelle exposition temporaire du Musée de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge vient porter un regard nouveau sur le prisme du genre apposé à cet univers. En partenariat avec l’Université de Genève, et avec le soutien du Fonds National Suisse de la recherche scientifique (FNS), Who cares ? Genre et action humanitaire explore les parcours et les vécus d’individus engagés dans l’humanitaire et s’attelle à réhabiliter ses grands oubliés. En plaçant la question du genre en son centre, l’exposition tente d’offrir un regard plus juste sur la réalité de cet univers, et de rendre justice à la réalité du travail de ces acteurs sur le terrain. Plongée immersive dans un univers trop souvent mal compris. 

 

Stéréotypes à déconstruire

Who cares ? Genre et action humanitaire est la première exposition temporaire du MICR qui vient s’inscrire dans sa première année thématique qui débutait en septembre dernier, Genre et diversité. Une exposition qui ressemble presque à un combat, une bataille pour une vision du monde plus juste, plus vraie. Comme de nombreux univers, le monde de l’humanitaire est lui aussi criblé de stéréotypes. Des idées préconçues et teintées par le prisme des rôles historiquement attribués à chaque genre, qui faussent sa réalité. Une exposition qui lance une question à double sens, « qui prend soin ? qui s’en soucie ? » et vient mettre en lumière l’histoire de ces personnes qui ont dédié leurs vies aux autres, mais restent bloqués dans des idées reçues bien éloignées de leur réalité. Car l’histoire et la vision du monde ont opposé deux univers qui sont pourtant intrinsèquement liés : le leadership et l’action d’un côté, le soin et la compassion de l’autre. Et ainsi, les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. Une idée reçue qui ne correspond en rien à la réalité du terrain et aux expériences vécues pour ces actrices et acteurs de l’humanitaire. L’histoire se doit alors d’être réécrite. De nombreux clichés la définissent, et d’encore plus nombreux individus en ont été effacés, victime de discrimination raciale, de genre, ou d’orientation sexuelle. Who cares ? vise alors à réhabiliter ces oubliés, mais également à rendre leurs réalités aux rôles qu’ils tiennent. Un projet d’ampleur résolument dans l’air du temps qui se raconte en images, en objets, et bien évidemment en témoignages. 

Anonyme, « Rejoignez la Croix-Rouge japonaise », Tokyo, 1958. Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, Genève

Humanitaire genré
Né dans une société patriarcale, l’humanitaire est tombé sous la coupe d’une représentation genrée, pourtant bien éloignée de la réalité. L’homme dirigeant, à la tête d’organisations, la femme soignante, dévouée, maternelle, presque angélique. Des stéréotypes qui empruntent à la religion catholique, et qui placent la réalité du terrain en arrière-plan, mettant en avant un sentiment plus qu’un geste médical. Pour le musée, ces affiches représentant la femme au chevet d’un soldat, lui tenant la main plutôt que réalisant un soin complexe, ont largement aidé à recruter des femmes pour les missions humanitaires, mais ont totalement occulté la réalité de leur expérience sur le terrain. Un quotidien difficile où la compassion est belle et bien présente oui, mais côtoie une réalité médicale complexe, et des expériences traumatisantes pour ces femmes. 

Anonyme, Croissant-Rouge algérien, Algérie, vers 1960. Dépôt CICR. Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, Genève.

Des femmes soignantes oui, mais aussi des oubliées qui ont pourtant bel et bien tenu des rôles de direction, qui ont fait plus que tenir la main d’un individu souffrant. Parmi elles, Sarah Monod, directrice des diaconesses à bord de l’ambulance n° 11 lors de la guerre franco-prussienne, mais aussi philanthrope et activiste qui allait laisser derrière elle un journal rempli de caricatures dénonçant les rapports des genres. Des femmes tenant des postes d’importance, à la direction de missions, à l’image de Juliette Fournot, cheffe de mission en Afghanistan, pendant l’intervention soviétique. La question du racisme est elle aussi abordée, avec l’exemple de Salaria Kea O’Reilly, infirmière afro-américaine qui fut refusée par la Croix-Rouge lors des inondations en Ohio en raison de ses origines. Tant de discriminations jusqu’alors ignorées, passant par la même occasion sous silence les rôles majeurs tenus par ces femmes déterminés à faire changer les choses dans un monde en souffrance. 

 

Une exposition pour réécrire l’histoire

À travers l’exposition, nous découvrons la question du genre dans l’humanitaire grâce aux témoignages et aux actes de nombreuses femmes dont les actions allaient avoir un impact majeur. Florence Nightingale, « la dame à la lampe » allant à la recherche des soldats blessés dans Constantinople durant la guerre de Crimée ; Pia Klemp, activiste des  droits humains et de l’écologie qui allaient sauver des centaines de migrants de la noyade ; Claire Bertschinger, ancienne membre du Comité international de la Croix-Rouge qui a participé à de nombreuses missions des plus dangereuses, mettant à profit sa grande connaissance de la guerre et de la famine, négociant avec des moudjahidines en Afghanistan ; Anne-Marie Grobet, déléguée et photographe présente au Rwanda lors du génocide de 1967 et à Madagascar en 2003. Tant de femmes dont les histoires sont racontées par l’écrit, mais aussi par les objets, les vidéos, les photographies. Des artefacts d’un monde humanitaire oublié et pourtant crucial, d’un genre minimisé qui allait en réalité être au cœur de l’action. Une exposition qui retrace une vérité, et nous fait espérer, que dans un monde en plein changement, une vision et une représentation justes de l’histoire passée, présente, et future, est possible.

© Aline Bovard Rudaz

Who cares ? Genre et action humanitaire
Jusqu’au 9 octobre 2022

Musée de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, Avenue de la Paix 17, 1202 Genève, www.redcrossmuseum.ch