Werner Bischof dévoile ses vraies couleurs

Inde. 1951. Dans les rues de Bombay. ©Werner Bischof 

C’est un photographe que l’on connaît avant tout en noir et blanc. Werner Bischof, l’un des grands maîtres de la photographie du XXème siècle, mais également un reporter salué, se découvre à travers le filtre de la couleur au MASI de Lugano. Unseen Colour nous plonge alors dans un univers vibrant et chromatique, dévoilant pour la première fois au public des photographies inédites, dont la majorité d’entre elles n’ont été découvertes que très récemment par son fils, Marco Bischof, chargé des archives de son père. Dans l’espace d’exposition supérieur du LAC, c’est une explosion de couleurs qui nous attend, mêlant des clichés d’une grande variété, certains réalisés en studio, d’autres sur le terrain lors de ses nombreux voyages. Objet de nombreuses années de travail, Unseen Colour est le produit d’une collaboration étroite entre les commissaires d’exposition du MASI, Ludovica Introini et de Francesca Bernasconi, et Marco Bischof, offrant à l’accrochage une dimension personnelle, prenant presque les traits d’un hommage.

Il est l’une des légendes de la photographie suisse. Photographe emblématique, il a parcouru le monde, ramenant dans ses valises les pellicules de clichés qui allaient devenir légion, captant à travers son objectif les jalons de l’Histoire sans jamais laisser de côté l’esthétique de ses compositions. Pour la première fois, le MASI de Lugano, dans le bâtiment LAC, dévoile un nouveau pan de son travail jusqu’alors méconnu. Une découverte en réalité, que nous devons à son fils Marco Bischof, responsable des archives de son père depuis les années 1980, cet homme qu’il n’a vraiment connu qu’à travers ses photos. Dans l’espace du LAC, il ne tarie pas d’anecdotes, passant d’un cliché à l’autre, s’émerveillant sans cesse devant ces images nouvelles. C’est par hasard qu’il les découvre, faisant la trouvaille de négatifs originaux datant des années 1939 à 1950, certains sur verre, réalisés avec des Rolleiflex, Leica agile et Devin Tri-Color, véritable objet de curiosité présenté dans l’espace d’exposition. Une découverte précieuse qui émeut le fils du photographe, ayant participé à la curation de cet accrochage à Lugano. « J’ai toujours connu mon père en noir et blanc, et tout à coup je me retrouve à déambuler dans cet espace éclatant de couleurs. C’est un nouveau corpus qui naît ici, et qui vient montrer au public un pan inconnu de la production photographique de mon père » confie -t-il pendant la visite. 

SWITZERLAND. Zurich. 1939. Model with rose.
EX.WB014

L’espace white cube du LAC se voit alors recouvert de clichés éclatants, venant illustrer les différentes facettes de la carrière de ce photographe disparu à l’âge de 38 ans dans un accident de voiture au Pérou. Le parcours de l’exposition nous emmène pour commencer dans l’univers du magazine zurichois Du. C’est dans cette publication artistique que Bischof allait voir ses premiers photo-reportages publiés en couleurs, un travail qu’il expérimentait déjà seul dans son studio. Dans les pages des magazines décolorés nous découvrons alors ses voyages autour du monde capturés à l’aide d’un appareil Devin Tri-Color qu’il emporte dans ses périples européens, réalisant en 1945 des clichés capturant le lendemain de la guerre et ses victimes. Une collaboration de prestige qui allait marquer la photographie suisse, tout comme les nombreuses années de Bischof passées au sein de la célèbre agence Magnum. Il la rejoint dès 1948, se retrouvant dans une photographie politiquement engagée et vectrice de vérité. Durant cette période, il est l’un des rares à travailler en couleur, s’éloignant peu à peu du sensationnalisme pour produire des clichés résolument ancrés dans la société et ses changements. 

USA. Boston. Université de Harvard 1953. Peinture murale de Joan Miró. ©Werner Bischof 

Au cours de ces années, les expérimentations avec la photographie couleur sont nombreuses, à la fois sur le terrain, mais aussi en studio, lorsqu’il réalise des clichés commerciaux lui permettant de travailler autrement. Sur les murs du MASI, ces images se démarquent par des coloris flamboyants, d’une luminosité intense. Au fil du parcours, les essais studios comptant portraits et végétaux laissent place à des photographies témoins d’un pan de l’Histoire. Au lendemain de la guerre, Bischof parcourt l’Europe, immortalisant les ruines et cicatrices laissées par les conflits. Des images qui prennent une dimension nouvelle grâce à la couleur, semblant tout à coup réduire notre distance actuelle de ces événements, Berlin dévoilant ses trous béants sans le filtre du noir et blanc. Si ses voyages européens sont nombreux, Werner Bischof explore le reste du globe durant sa trop courte carrière. Deux ans en Asie, puis direction l’Amérique, où son épouse Rosellina, la mère de Marco, l’accompagne pour un périple qui les mènera au Mexique. Puis c’est seul qu’il continue son voyage en direction du Pérou, accumulant des clichés d’une grande diversité, où l’architecture locale côtoie sur sa pellicule les personnes qu’il rencontre. En mai 1954, son tragique accident met fin à une carrière qui laisse aujourd’hui planer de nombreuses interrogations sur ce à quoi l’avenir aurait ressemblé dans l’objectif de ce visionnaire. L’exposition du MASI ouvre ainsi une fenêtre sur un pan méconnu du travail de ce photographe emblématique, juxtaposant sujets et destinations sur ses murs immaculés. Des clichés qui voyageront à la Fotostiftung Schweiz de Winterthour dès son exposition tessinoise clôturée pour un accrochage plus intimiste. Unseen Color fera alors pendant à l’exposition consacrée à l’épouse de Werner, Rosellina, l’une des fondatrices de la fondation qui lui rend hommage dès le 26 août prochain, avec un titre évocateur : Living for Photography. 

 

Werner Bischof – Unseen Color
Jusqu’au 16 juillet 2023

MASI Lugano, espace d’exposition LAC
Piazza Bernardino Luini, Lugano

www.masilugano.ch/