Un féminisme incisif sous l’œil de Chiara Fumai

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Chiara Fumai. Portrait. 2013. Photo- Alessandro di Giampietro.

La réouverture du centre d’art contemporain nous révèle la première rétrospective consacrée à l’œuvre de Chiara Fumai, Poems I Will Never Release. Une exposition organisée par Francesco Urbano Ragazzi et Milovan Farronato en collaboration avec Andrea Bellini. Décédée prématurément en 2017, cette femme énigmatique laisse derrière elle de nombreux projets équivoques mais chargés de sens. Entre ésotérisme, féminisme et révolte, l’exposition traverse ces sujets habilement. Le centre d’art préserve ainsi son héritage et contribue à l’étude de cette personnalité aux langages multiples, faits de vidéos, collages, etc. chacun y trouve son « médium ». On découvrira le travail incisif de l’artiste italienne traduisant de manière singulière l’esthétique féministe du 21e siècle. Pour la joie des esprits provocateurs.

Chiara Fumai, née à Rome, est connue pour ses œuvres performatives et multimédias mettant en scène des capacités du psyché et des icônes de la contre-culture. Elle présenta en 2012 The Moral Exhibition House – création d’un espace pour l’insurrection féministe déguisé en « freak show » – à dOCUMENTA (13), Kassel. En 2013, elle fut lauréate du 9e Furla Art Award avec ses œuvres I Did Not Say or Mean “Warning” où elle joua une guide pour la collection d’art historique de la Fondation Querini Stampalia à Venise et Chiara reads Valerie Solanas (2012), une propagande fictive à partir du Manifesto S.C.U.M. de Valerie Solanas reflétant la première campagne de Silvio Belusconi. Très encline à réaliser ces remix et associations, Fumai fit preuve d’audace.

C’est en parcourant les couloirs du centre que l’on saisit l’esprit tortueux cependant captivant de l’artiste. Des idées superposées en images, textes (etc.) nous amène à vivre une rétrospective du féminisme, passant entre autres d’Annie Jones aux traits atypiques à Valerie Solanas une écrivaine féministe aux penchants radicaux. Bien qu’elle mette souvent en avant les femmes, elle présente également des hommes tels qu’Harry Houdini le magicien et Nico Fumai, un chanteur fictif à l’image de son père. L’artiste s’inspire donc de personnages ayant marqué, selon elle, l’esthétique féministe en sillonnant les époques de 1478 aux années 2000. Se refusant d’être minorée et limitée au statut d’artiste femme, elle s’approprie les champs sémantiques de la menace, le vandalisme et bien d’autres créant ainsi un féminisme anarchiste. En bref, les performances de Fumai aborde des figures de femmes qui ont marqué l’histoire par leur force et leur colère, bien que ceci leur a valu également d’être exclues. Ces dernières obtiennent ainsi une reconnaissance méritée à travers cette rétrospective qui finalement n’est pas uniquement dédiée à Fumai mais également à celles qui l’ont précédée. 

Chiara Fumai, The Moral Exhibiton House. 2012. Collage digital. Photo- Blerta Hocia.

DE QUOI VOUS DONNEZ ENVIE :

Der Hexenhammer, peinture murale produite en 2015, associe les paroles de la terroriste allemande Ulrike Meinhof du groupe d’extrême gauche « Fraction Armée Rouge », connue aussi sous le nom de la « bande à Baader », avec des figures tirées du traité médiéval contre la sorcellerie, Malleus Maleficarum des frères dominicains Heinrich Kramer et Jacob Sprengler en 1478. On y voit donc deux femmes en costumes sous les phrases suivantes : « On fait partie du problème ou on fait partie de la solution. Entre les deux, il n’y a rien ». Cette mise en relation relate l’histoire de l’oppression des femmes en incorporant les propos de Meinhof. Sur la peinture murale, Fumai inclut également des storyboard sous forme de collage et d’écriture automatique. 

Follow this you Bitches est une oeuvre d’un agrandissement du tampon qu’utilise Fumai pour signer ses correspondances. Il se compose d’un heptagramme unicursal inspiré de l’étoile de Babalon, élaboré en 1904 par Aleister Crowley, l’occultiste britannique, pour The Book of the Law. Babalon est une déesse représentant l’opposé de l’abstinence, une critique ouverte de la pureté sexuelle : elle est le symbole de la libération féminine. Les sept lettres du nom Babalon symbolise les sept planètes, « voiles » et chakras, exprimés par les sept branches de l’étoile. L’artiste détourne cet heptagramme obscur en le croisant avec le slogan de la chanteuse Cher « Follow this you bitches », déclaré lors de sa tournée Living Proof Farewell en 2002, afin de défier les jeunes pop stars. Le travail de collecte que Chiara Fumai entreprend dans ses œuvres nous permet de nous remémorer ces personnes parfois impopulaires et incomprises dans l’histoire. Une rétrospective louable emboitée d’une autre, un travail à découvrir au centre d’art contemporain jusqu’au 28 février 2021. 

Centre d’art contemporain de Genève

Rue des Vieux-Grenadiers 10, 1205 Genève

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