Steve McQueen électrise le Schaulager

Jaune solaire, vertige vertical : l’architecture avalée par la lumière, comme une mer infinie d’échos et de fréquences (c) DR
Oubliez les images. Oubliez le récit. Avec Bass – la nouvelle exposition au Schaulager – Steve McQueen arrache l’art à la rétine pour le greffer directement dans la chair. Le Schaulager devient caisse de résonance : cinq étages de béton transformés en poumon cosmique, où chaque LED est une bouffée de lumière et chaque basse un battement primordial.
Entrer dans Bass, c’est plonger dans un océan sans mer. Pas d’images, pas de narration, juste un espace qui pulse comme un organisme vivant. Steve McQueen, cinéaste de l’intensité et plasticien du silence, transforme les cinq étages du Schaulager en un corps spectral, une cathédrale de lumière et de basse.

Un visage monumental, une mémoire projetée : la basse devient voix, le regard devient vibration
(C) DR
Ici, la couleur respire. Le rouge n’est plus une teinte, mais une chaleur qui vous envahit. Le violet n’est pas un spectre, mais une descente dans l’inconnu. L’espace entier pulse comme un cœur géant, et vous n’êtes plus visiteur : vous êtes l’onde. Les murs ne protègent plus, ils vibrent. Le béton cesse d’être inerte, il devient membrane. Chaque faisceau LED se déploie comme une vague chromatique, du rouge incandescent au violet abyssal, et fait trembler l’air comme si l’architecture respirait à l’unisson. On ne regarde plus une œuvre : on se retrouve à l’intérieur d’un poumon géant.

Rouge incandescent : le Schaulager se mue en caisse de résonance, chaque tube LED battant au rythme du cœur grave de la basse (C) DR
Mais la colonne vertébrale de Bass, c’est bien sûr le son. Une basse grave, tellurique, enracinée dans l’histoire et la mémoire de la diaspora noire. McQueen a convoqué des maîtres — Marcus Miller, Meshell Ndegeocello, Aston Barrett Jr., Mamadou Kouyaté et Laura-Simone Martin — pour improviser une partition, comme une incantation. Pas de mélodie linéaire : des dialogues, des respirations, des heurts et des silences. Le tout enregistré in situ, rejoué dans ces entrailles de béton, jusqu’à ce que la matière sonore devienne palpable.

Silhouettes en suspens, cercles de lumière comme des portées musicales : les corps deviennent notes dans la partition de McQueen (C) DR
Le spectateur n’est plus simple visiteur mais diapason. Son corps vibre, son oreille devient caisse de résonance. Les basses roulent comme des vagues souterraines, la lumière pulse comme un cœur spectral. On ne distingue plus si l’on entend ou si l’on ressent, si l’on voit ou si l’on est vu.
Dans un monde saturé d’images, McQueen ose le vide visuel. Bass n’est pas un film, c’est une expérience sensorielle totale, une cartographie intérieure. Un voyage où la couleur n’est pas peinture mais souffle, où le son n’est pas musique mais mémoire. Une expérience quasi spirituelle où l’architecture se mue en instrument et où le spectateur devient vibration.
Bass, c’est l’art dans sa forme la plus brute : dépouillé de récit, chargé d’Histoire. Un espace où la diaspora, la pulsation vitale et l’abstraction se rencontrent dans une œuvre qui n’a pas besoin d’images pour être visionnaire.
