Stefan Beer: le génie du proche et du profond

Stefan Beer, l’âme sereine et les mains fertiles, cultive le goût du vrai — celui qui pousse à quelques kilomètres d’ici (c) DR
Nul besoin de traverser le monde pour faire voyager les papilles. De Dubaï à Interlaken, Stefan Beer a troqué les gratte-ciels pour les sommets, les chefs d’orchestre pour les fermiers, les marchés de Shanghai pour les alpages bernois. Le credo du ce chef constellé d’une étoile Michelin, d’une étoile verte et de 17 points Gault&Millau? Cuisiner « vo hie » — d’ici. Dans son restaurant Radius sis au Victoria-Jungfrau Grand Hotel & Spa à Interlaken, chaque assiette devient une carte topographique du goût, tracée dans un rayon de 50 kilomètres. Une philosophie enracinée, mais jamais figée. Une ode à la terre, au terroir, et aux artisans qui en sculptent la beauté. Un voyage immobile, une émotion en circuit court.
À l’heure où la gastronomie mondiale s’uniformise à coups de caviars copiés-collés, Stefan Beer choisit l’authenticité : il fait du local un luxe, du terroir une muse, de la contrainte une liberté. Son menu signature, le « Menü vo hie », compose un poème culinaire où chaque ingrédient a un visage, une histoire, un accent bernois. Fromager d’alpage, apiculteur du jardin, pêcheur du lac Brienz, cueilleur d’herbes du Victoria — tous gravitent autour du chef comme les astres d’un même système : celui de l’excellence artisanale.

Le Victoria-Jungfrau Grand Hotel & Spa, écrin d’élégance au cœur d’Interlaken, où le murmure des fontaines répond aux montagnes alentour (c) DR
Un terroir à 50 kilomètres de bonheur
Dans cet univers culinaire, le Bernese Oberland est un festin grandeur nature pour ce fils d’un cuisinier et d’une serveuse, ayant grandi entre les casseroles fumantes et les parfums de foin. Ici, les légumes viennent de Luginbühl, les fromages de l’Alp Feuzesbergli, le miel coule des ruches du Victoria-Garten, et le poisson frétille encore des filets du Brienzersee. Chaque assiette raconte une rencontre : celle d’un producteur et d’un créateur, d’un geste ancien et d’une idée neuve. Le pain Radius, pétri à partir de grains semés à cheval au Wyssacherhubel, devient un symbole : celui d’un retour à l’essentiel, dans un monde trop pressé pour lever.

Dans le cocon feutré du Radius, la gastronomie devient rituel, entre douceur végétale et élégance boisée (c) DR
Du local à l’universel
Car derrière la rigueur du « 100% local », Stefan Beer cache une ouverture infinie. De ses années passées à Shanghai, Hong Kong, Singapour ou Dubaï, il garde une curiosité du monde, un sens du détail, une façon d’assembler les saveurs comme des cultures. Ici le gingembre d’ESPRO Sprossenflirte avec le vinaigre de framboise maison, la truite du lac s’enroule autour du sorrel comme un haïku de fraîcheur. Rien d’ostentatoire : juste la haute couture du vivant, cousue dans le respect du lieu.
Au Victoria-Jungfrau Grand Hotel & Spa, les étoiles ne tombent pas du ciel — elles poussent dans le jardin, se pêchent au lac, se cueillent dans les prés. Entre tradition et imagination, Stefan Beer compose un menu comme une carte du cœur — à rayon humain.

Le chef Stefan Beer, entre nature et savoir-faire, cueille son inspiration à même les branches du Berner Oberland (C) DR
Rencontre avec un chef à la précision d’horloger et la sensibilité de poète qui parle du terroir comme d’une matière vivante.
Après avoir exploré les cuisines du monde, qu’est-ce qui vous a donné envie de revenir sur votre terre natale?
Après presque dix ans entre Shanghai, Hong Kong, Bangkok, Singapour et Dubaï, j’ai réalisé que quelque chose me manquait : le lien direct avec la nature. À l’étranger, tout était possible, mais tout semblait un peu déconnecté. Ici, je peux sentir la terre, la pluie, la neige avant même qu’elle ne tombe… C’est ce rapport au vivant qui m’a ramené à Interlaken.
Est-ce ce lien avec la nature qui a inspiré la création de votre célèbre Menü vo hie ?Exactement! Je voulais créer un menu qui raconte ma région dans un rayon de cinquante kilomètres. Chaque ingrédient a un visage, une ferme, une histoire. Je connais tous nos producteurs : le pêcheur du lac de Brienz, l’apiculteur du jardin du Victoria-Jungfrau, la fromagerie de montagne… On échange sans cesse, on se visite. Certains cultivent même des variétés spécialement pour nous.

À table au Radius, chaque détail respire l’équilibre entre terroir et raffinement, de la graine au grand cru (c) DR
La mise en œuvre d’un concept aussi ancré dans le local a-t-elle représenté un défi à ses débuts ?
Oui, au départ, il fallait vraiment chercher. Trouver la qualité, la quantité, convaincre les producteurs que c’était possible. Aujourd’hui, c’est l’inverse : ils viennent à nous! Ce contact permanent nourrit notre créativité — et parfois nos limites deviennent nos meilleures idées.
Vous avez une équipe fidèle, qui presque une famille. Comment la décririez-vous ?
Nous sommes ensemble depuis des années: Sarah Tombolelli, ma cheffe de cuisine, est une artiste ; Torsten Noack, notre sommelier, un véritable explorateur du vin bernois qui a même imaginé un eau-de-vie de pomme “Berner Rosen”, fermentée, distillée, vieillie et servie à quelques mètres de son berceau. Chacun apporte sa sensibilité, sa rigueur, sa folie douce. Dans la cuisine, il faut une tension positive : on rit, on stresse, mais toujours avec respect. Le service, pour moi, c’est une chorégraphie où chaque geste compte!

La fraîcheur comme fil conducteur : textures, herbes et nuances de vert pour un hommage vibrant à la terre d’ici (c) DR
Dans votre parcours, il y a aussi l’Asie. Est-ce qu’elle influence encore vos assiettes ?
Bien sûr! Les voyages vous changent. En Asie, j’ai appris la précision, le respect absolu du produit, l’équilibre entre puissance et délicatesse. Aujourd’hui, je peux marier une truite du lac avec un trait de vinaigre de framboise ou un gingembre cultivé à Thun : c’est un peu de Singapour dans l’Oberland! (Rires)
Quelle est la chose la plus importante que vous ayez apprise en cuisinant ici, “à la maison” ?
Qu’un produit local peut avoir une dimension universelle. Ainsi, un simple poulet peut devenir un plat de fête si sa chair est juste, si sa cuisson est respectée. Je dis souvent à mes jeunes cuisiniers : Ce n’est pas le luxe qui fait la valeur d’un plat, c’est l’attention qu’on lui porte!

Un plat signature du Menü vo hie : la nature en mouvement, la précision au millimètre, la poésie dans l’assiette (c) DR
Et chez vous, qui cuisine ?
(sourire) Ma femme Vera et moi, on partage! Mais je reste incapable de ne pas intervenir… Je cuisine pour mes enfants comme je cuisine pour mes hôtes : avec le même désir de leur faire plaisir. Même un simple croissant devient un moment culinaire!
Vous semblez toujours calme, même en plein service. C’est inné ? (rires) Pas vraiment! Le stress, il faut l’apprivoiser. J’essaie de transformer la pression en énergie. Le pire serait de la transmettre à mon équipe. En cuisine, si tu n’es pas bien intérieurement, rien ne fonctionne. Alors je respire, j’observe, et je garde les pieds sur terre — au sens littéral du terme!
Enfin, si vous deviez résumer votre philosophie en une phrase ?
« Cuisiner, c’est raconter l’endroit où l’on se trouve. » Et dans ce coin d’Interlaken, la nature parle fort… il suffit d’écouter!
Restaurant Radius by Stefan Beer
Victoria-Jungfrau Grand Hotel & Spa
Höheweg 41, 3800 Interlaken, Suisse www.victoria-jungfrau.ch
Tél: +41 33 828 28 28
