Sous l’étoile d’Ozawa
Seiji Ozawa ©DR
Celles et ceux ayant eu la chance de côtoyer le Chef d’orchestre japonais Seiji Ozawa se souviennent de son humanité et de sa sensibilité, des qualités qui ont fait de lui l’une des plus grandes légendes de la musique classique. Pour lui, l’étude du quatuor à cordes était indispensable à la maîtrise de ce qu’il appelait « le même souffle ». Le 9 juillet, au Victoria Hall, à l’occasion des vingt ans de son Académie, des alumnis, enseignants et élèves, dirigés par la directrice artistique Blanche d’Harcourt, joueront en son hommage. Marie Chilemme, ancienne élève de l’Académie et altiste renommée, nous témoigne de l’impact profond des enseignements de Seiji Ozawa sur sa carrière. Interview.
Quels souvenirs gardez-vous de votre temps passé avec le professeur Seiji Ozawa, et en quoi a-t-il influencé votre parcours musical ?
Les premières années avec Seiji Ozawa étaient impressionnantes en raison de son talent mais avant tout de son humanité. Je me souviens avoir été particulièrement surprise de son accessibilité, sa simplicité et de sa jeunesse d’esprit. Il portait souvent des baggys et des baskets, aimant être proche des jeunes musiciens. Il insistait sur l’essentiel de la musique, la sincérité et la pureté dans l’interprétation. Ses gestes, regards et expressions faciales étaient extrêmement inspirants, il nous a transmis son amour profond pour la musique.
Qu’avez-vous emporté des enseignements à l’Académie ?
Cette manière de jouer, sincère et pure, m’accompagne toujours et c’est ce que j’essaie de transmettre. À l’Académie, j’ai joué en quatuor avec mon frère, une expérience marquante qui nous a éduqués en tant que musiciens. Cela m’influence encore dans mon travail quotidien, où je suis toujours en quête de sincérité et de transmission émotionnelle.
Seiji Ozawa parlait beaucoup du « même souffle », pouvez-vous nous en parler ?
L’Académie Ozawa cherche des instrumentistes capables de s’ouvrir et de communiquer en équipe. Ce travail en immersion avec d’autres musiciens, pendant douze jours, enseigne à anticiper les intentions des autres et à travailler ensemble. L’union des quatre sons crée une cohésion musicale unique, semblable à un son émanant d’un instrument à seize cordes.
En tant qu’alumni de l’Académie, pouvez-vous nous parler du processus de sélection ?
L’Académie Ozawa sélectionne de jeunes instrumentistes solistes pour les initier à la musique de chambre. Pour Seiji Ozawa, passionné par le quatuor à cordes (deux violons, un alto et un violoncelle), cette formation était indispensable pour « ouvrir les oreilles » et s’améliorer dans leur domaine. Le concours d’entrée, très exigeant, demande généralement l’interprétation d’un mouvement de Bach et de deux mouvements de Mozart. Puis, durant douze jours à Rolle, les quatuors se concentrent sur deux mouvements. Le soir, ils se retrouvent pour jouer tous ensemble. C’est une expérience qui éveille les sens et guide de manière humaniste, ce qui est rare et généreux.
Ressentez-vous encore le trac avant de monter sur scène ? Comment vos appréhensions ont-elles évolué depuis le début de votre carrière ?
Jouer avec le trac est un travail de toute une vie, tant sur le plan musculaire que respiratoire. L’intensité dépend de l’œuvre, de la présence de micros, de caméras, ou de personnalités impressionnantes dans la salle. Le trac est lié à la volonté de bien faire et de ne pas décevoir. Avec l’expérience, cela diminue, mais ça ne disparaît jamais totalement.
Vous jouez de la musique depuis l’âge de trois ans. Qu’est-ce que la musique vous a apporté dans la vie, philosophiquement ?
Spontanément, je dirais mon mari, haha. Plus sérieusement, je suis consciente que j’évolue dans une bulle qui me permet de m’évader et de moins me préoccuper des soucis quotidiens. La musique m’a aussi apporté tolérance et sérénité. L’apaisement.
Quel est votre plus beau souvenir de votre carrière ?
Celui qui me vient à l’esprit, c’est lorsque nous sommes allés visiter l’Académie Ozawa au Japon, pour les 80 ans de Seiji, pour rencontrer la filière japonaise et sa famille. Au cours de la visite, nous sommes tombés sur la légendaire Martha Argerich, en répétition. C’était hallucinant.
Vous faites partie des chanceux qui jouent d’un Stradivarius Alto de 1734. Quelle est votre relation à votre instrument ?
Mon alto de 1734, un Stradivarius prêté, est sorti de musée pour être joué. Mon devoir est d’être à la hauteur et de le faire sonner au mieux de ses capacités. Ces instruments anciens demandent respect et écoute mutuelle. C’est un instrument très sensible et il sent lorsque je suis en forme ou non, et sait se montrer compréhensif lorsque ça ne va pas musculairement.
Qu’est-ce que Marie Chilemme écoute lorsqu’elle ne joue pas ?
J’écoute beaucoup de jazz, de chansons françaises, de vieilles chansons françaises, de la pop, les classiques du jazz, de la salsa. Quelques artistes que j’écoute en ce moment sont Omara Portuondo, L’Impératrice, et Anomalie.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes musiciens qui aspirent à intégrer des institutions prestigieuses comme l’Académie d’Ozawa ?
Je leur conseille d’être au plus proche de leur véritable identité, d’exprimer leur musique avec sincérité. Il est essentiel de travailler avec exigence en amont, mais au moment de jouer, de se concentrer sur l’essentiel : la beauté de la musique et l’essence de la passion.
Un concert à Genève en hommage à Seiji Ozawa
Kazuki Yamada, direction, et l’ensemble des musiciens de l’Académie
Le 9 juillet 2024 – 19h30
Victoria Hall
https://billetterie-culture.geneve.ch/selection/event/date?productId=10229181673571