Shrigley chahute Ruinart

Connu pour ses dessins trompeusement naïfs, voire enfantins, le regard de David
Shrigley sur le monde se révèle rafraîchissant, franc, abyssal et crépitant d'humour
subversif. Son travail au style irrévérencieux ne se limite pas aux illustrations et
aux punchlines originales. En 25 ans, le plasticien britannique a – entre autres –
écrit un livret d’opéra, dirigé le Brighton Festival, érigé une sculpture sur le
Quatrième socle de Trafalgar Square, expérimenté la taxidermie et publié de
nombreux livres! Une collaboration avec la Maison Ruinart ne nous a guère
surpris. Depuis 2008, la plus ancienne des maisons de champagne accueille une
résidence annuelle à Reims, offrant carte blanche à chaque artiste choisi. Ainsi,
guidé par cette curiosité naturelle, David Shrigley a parcouru pendant 5 jours le
vignoble et exploré les caves, noté chaque expression entendue ou geste aperçu pour
créer plus de 42 oeuvres (dont 36 gouaches, trois néons, deux céramiques et le
nouvel étui inédit pour les jéroboams) illustrant le rapport intrinsèque de la maison
à la nature. Piquant d’audace, le plasticien britannique a répondu le 5 mars dernier
à nos questions, avec humilité et humour.

Vous devez recevoir beaucoup d’offres de collaborations. Quels sont vos critères de sélection ?
Chaque projet, chaque collaboration est l’occasion d’apprendre quelque chose de nouveau, mais aussi de voir son travail différemment, à travers les yeux de quelqu’un d’autre. J’ai accepté le projet avec Ruinart car j’aime faire de l’art et j’aime boire du champagne. J’ai toujours voulu faire un travail où je suis obligé de boire du champagne, donc je suis enfin heureux! J’ai beaucoup appris sur la boisson à bulles. J’ai l’impression d’être plus intelligent et sophistiqué lorsque j’en bois maintenant. La résidence fût un véritable voyage d’exploration en terres inconnues et je pense que c’est ici l’un de mes critères principals: découvrir quelque chose de nouveau.

David Shrigley par Mina Sidi Ali 

Quelles ont été les choses les plus surprenantes que vous ayez apprises lors de cette aventure chez Ruinart ?
Avant de visiter Reims, je savais que j’aimais le champagne mais comme je l’ai déjà souligné, je n’en connaissais pas grand-chose. J’ai appris que c’est un produit vivant. Il est fabriqué à partir d’une plante qui pousse dans le sol; qu’il est soumis aux éléments; qu’il est soumis au sol et au ciel, aux conditions météorologiques, aux insectes qui volent autour de lui – qui le détruisent ou facilitent la pollinisation. Pour moi, il y a beaucoup de métaphores intéressantes ici. Il y a aussi une certaine magie dans laquelle les micro-organismes qui font les bulles créent l’élément critique du champagne. J’aime l’idée qu’il faille le garder dans l’obscurité et que toutes ces choses doivent arriver dans le noir dans une grotte qui se trouve à 30 mètres du sol. J’ai également eu beaucoup de plaisir à échanger avec Frédéric Panaïotis, le chef de caves de chez Ruinart. Il me transmettait plein d’informations à propos du vin et chaque fois qu’il me demandait mon avis, je répondais bêtement que c’était vraiment bon. Un peu comme si on offrait des fleurs à un gorille (rires). Aujourd’hui, je pense que je dois être l’une des rares personnes en Grande-Bretagne qui sait comment le champagne est fabriqué.

Pour qui créez-vous ?
Mes œuvres ne ciblent pas des groupes spécifiques mais j’ai l’habitude de discuter de l’art avec des gens qui y sont hostiles. J’ai travaillé comme guide de galerie durant environ 5 ans lorsque j’ai quitté mon école d’art et cela m’a toujours surpris que l’art suscite souvent un retour aussi négatif. Je pense que beaucoup de gens comprennent mal ce qu’est l’art et ont une mauvaise relation avec ce monde. Donc en quelque sorte, je crée de l’art pour faire réagir ces gens. 

Comment créez vous? Est-ce que vous dessinez d’abord ou écrivez?
J’ai plus tendance à écrire d’abord puis imager. Pour le projet avec Ruinart, j’ai établi une liste avec les mots qui représentent l’enseigne: durabilité, continuité, élégance.. Puis, j’ai écrit une série de poèmes autour de ces thèmes. J’ai également travaillé autour d’une succession de mots propre à la viticulture comme la terre, le soleil, le ver de terre…Tout cela fait partie du processus mais ne sera pas exposé. 

Il faut parfois boire plusieurs verres de champagne pour réaliser et/ou accepter la réalité à laquelle vous nous confrontez dans vos oeuvres…
Je pense que cela peut effectivement aider à saisir le message! C’est le travail de l’artiste d’essayer de dire la vérité et de ne pas se cacher derrière une mauvaise politique. De manière générale, je suis très déçu de la voie politique que le Royaume-Uni semble avoir choisie. Le Brexit est une erreur et beaucoup de gens en souffriront, mais que puis-je faire? Je suppose que j’ai une voix plus importante que la plupart des gens parce que je suis artiste. Ainsi, je continuerai donc à dire ce que je pense et à encourager la positivité. Il est facile d’être négatif en ces temps sombres, mais j’ai décidé d’être positif et de boire davantage de champagne. D’ailleurs, je vous recommande vivement d’en déguster avant d’aller à mon vernissage ce soir! 

Et si je vous dis Go Out!. A quoi pensez vous?
Je dirai qu’il fait bon d’être dehors. C’est bon pour la santé…mais peut être pas en ce moment avec ce nouveau virus. Il faut se laver les mains et faire attention.

Et ce que le COVID19 vous fait peur (à ce moment ni la France, ni l’Angleterre n’étaient encore en confinement) ?
Je dirais que ce je crains le plus c’est de ne plus pouvoir aller voir de matchs de foot.