Sarah Nefissa Belhadjali repousse les limites de l’art

Collection Croisière 2019, La Panacée-Moco, vue d’exposition Photo : ©Romain Moncet
Les différents domaines artistiques semblent devenir de plus en plus indissociables et les limites qui les séparaient alors paraissent disparaitre. Sarah Nefissa Belhadjali, jeune artiste franco-tunisienne, est une preuve flagrante de cette fusion des disciplines, et de sa réussite. Artiste, curatrice, organisatrice de défilés de mode, fondatrice d’une marque, ou presque, Sarah est à l’image de ses créations, impossible à catégoriser. Par ses œuvres et ses créations souvent conceptuelles et faisant appel à de nombreux artistes et intervenants extérieurs, Sarah se place à la frontière de nombreux domaines, de la mode et ses défilés rituels aux œuvres d’art portables, elle ne semble reculer devant aucune idée, et ne rejeter aucun milieu artistique. Une artiste ancrée dans son temps, et désireuse de faire tomber les murs construits par la tradition.
Un parcours hors du commun pour une carrière unique
Aujourd’hui diplômée des Beaux-Arts et artiste accomplie, Sarah a cependant derrière elle un parcours étonnant et original. Avant de se tourner vers le domaine artistique, elle se lance dans des études de biologie, un monde qui semble bien loin de l’art et dans lequel elle a cependant su apporter son œil d’artiste. Déjà à l’époque, sa fascination pour ce domaine se manifeste pour le côté esthétique et l’enveloppe de ce monde. Les diagrammes, les images, le protocole, les tests PCR aux rendus abstraits font encore aujourd’hui partie de ses méthodes de travail et de son esthétique. Dès le départ, les barrières tombent, et les limites traditionnelles posées entre art et science s’effritent à travers son travail, qui semble alors avoir devancé le mouvement aujourd’hui de plus en plus populaire du bio art.

©Sarah Nefissa Belhadjali, Ma plante, vêtement pour plante en soie déperlante, plante verte, 2017
Sa formation est très variée, car au sein même du monde de l’art Sarah semble refuser de se limiter. Lors de son échange à Chicago elle suit des cours de bio art, mais aussi de mode, où elle doit alors créer un vêtement. Cependant son identité d’artiste ne la quitte pas, et elle décide alors de faire la différence en réalisant un blouson pour plante, un projet qui marque le début de sa carrière et qu’elle réactive aujourd’hui lors de différentes performances. Mais c’est aussi une pièce majeure, qui vient imager un questionnement que suit Sarah depuis longtemps. Déjà petite, elle organise un défilé de mode, et aujourd’hui encore, à travers son projet intitulé Nouvelle Collection, lie les questions plastiques et vestimentaires, les faisant converser et nous mettant alors face à des pièces impossibles à catégoriser. Ainsi elle se joue des codes de la mode et semble vouloir effacer ses limites, mêlant sans gêne aucune le monde du prêt-à-porter et de l’art. Cette tendance à lier ces deux univers se répand de plus en plus aujourd’hui et exemplifie parfaitement les changements culturels et artistiques de notre époque. Sarah fait alors partie des artistes qui prouvent que l’interdisciplinarité fait partie du nouvel ADN de l’art. Pourquoi devoir choisir entre performance artistique et défilé de mode, entre un vêtement pour plante et une œuvre d’art ? Les créations de cette artiste hors norme nous ouvrent les yeux sur une réalité qui est la nôtre, et sur la jeune génération d’artistes refusant toute limitation. Comme Sarah le dit elle-même, « être un artiste c’est être qui on veut », alors pourquoi ne pas être tout le monde à la fois ?
Une complaisance dans l’ambiguïté et le flou : Nouvelle Collection
Ce projet part d’un constat que Sarah fait lors de ses études et de sa participation à l’atelier de l’artiste conceptuel Claude Closky : le vêtement est de plus en plus présent en art, et si toutes les œuvres se situant autour du vêtement étaient regroupées, nous serions face à une collection aux pièces toutes aussi uniques qu’étonnantes. De cette réflexion elle a fait une réalité lors de son projet Nouvelle Collection, une performance prenant la forme d’un défilé de mode, où des œuvres et des artistes choisis par Sarah, qui se fait alors curatrice, sont amenés à participer à un projet collaboratif. Le travail de Sarah, oscillant entre le rôle de manager pour d’autres artistes qu’elle inclut dans ses projets, mais aussi de curatrice et d’organisatrice de défilés de mode, nous parle également d’une réalité du monde de l’art. La précarité de ce domaine est malheureusement une vérité toujours d’actualité, mais endosser tous ces rôles et ouvrir les portes de l’art ne constitueraient-ils alors pas des moyens de remédier à ce problème ?

Mélanie Villemot, Tatemae, 2018, Perles acryliques, système d’assemblage de tubes Rose Krieger en acier et aluminium, plastique, colorant alimentaire, farine de pois chiche (modèle Galliane Didier). Collection Croisière 2019. Crédit photo : ©Romain Moncet
Nouvelle Collection se joue donc de son ambiguïté. Est-ce un défilé de mode, une performance artistique, Sarah est-elle curatrice, ou artiste, et avons-nous à faire à des vêtements ou à des œuvres d’art ? En réalité, toutes ces réponses semblent être valides. Les pièces sont des œuvres portables, à la limite entre le vêtement et l’objet d’art. Une piscine gonflable faisant office de robe, des feuilles de papiers agencées pour créer une tenue, ou encore une plante vêtue de son imperméable en guise d’accessoire, Nouvelle Collection se joue alors de l’ambiguïté entre œuvre et vêtement. Ce projet nous démontre que la limite entre art et mode se fait de plus en plus mince, et que le snobisme du premier par rapport au second n’a plus vraiment lieu d’être. Sarah le dit elle-même, « l’art et la mode sont deux mondes qui se ressemblent beaucoup, et convergent sans cesse l’un vers l’autre ». De plus en plus d’artistes issus d’une nouvelle génération viennent questionner les limites posées entre les différents domaines et la hiérarchie instaurée dans la tradition, mais démontrent aussi qu’aujourd’hui, il ne s’agit plus simplement d’être, il faut être multiple. Nouvelle Collection, bien plus qu’une performance artistique, vient questionner le futur de l’art et son rapport aux autres disciplines, et nous démontre avec brio qu’une pièce artistique n’est pas obligatoirement un objet individualiste, mais peut être un projet collaboratif, mêlant diverses disciplines, et refusant de les délimiter les unes des autres. Sarah repousse sans cesse les limites et nous démontre qu’être un artiste à notre époque signifie également être fait de diverses facettes, une figure impossible à définir en un seul mot.
Un refus de la définition
Choisir un unique terme pour définir le travail de Sarah Nefissa Belhadjali, mais aussi son statut, semble une tâche impossible à accomplir. Cependant cette impossibilité de la définition témoigne aussi d’une volonté de ne pas se limiter et de sans cesse explorer de nouveaux horizons. En écoutant Sarah parler de ses projets, il en ressort un foisonnement d’idées qui ne se voit posé aucunes frontières. Ses projets, très variés quant aux médiums, allant de l’œuvre portable à la vidéo, en passant bien évidemment par la performance, mais aussi la photographie, témoignent de cette volonté d’ouvrir l’art à toutes les disciplines. Véritable artiste de son temps, elle représente à la perfection cette nouvelle génération touche-à-tout qui refuse de se contenter du minimum, et ne pose aucune limite à sa créativité. Une belle preuve que l’art n’a pas fini de nous surprendre.
http://nouvellecollection.paris/
