Raz-de-marée en série

La Grande Vague de Kanagawa ou La Vague, célèbre estampe japonaise du peintre japonais Hokusai

En l’espace de dix-sept ans (2004, diffusion du 1er épisode de Lost, les vrais savent), les séries ont envahi la plupart de nos vies. A tel point que ces dernières années, la production « sérielle » est passée du « Peak TV » au « Too much TV ».Autrement dit, du « pic » de 2015 qui n’était en fait qu’un palier; à l’augmentation sans cesse croissante de propositions. En 2015, elles avoisinaient les 400. En 2019, elles étaient 532. En 2020…peut-être un peu moins. Compte tenu du temps à disposition de chacun.ne, des multiples plateformes de visionnage payantes et de l’offre pléthorique, il n’en fallait pas plus pour me décider à écrire un top trois plutôt récent (2018-2020), sans ordre de préférence et purement subjectif. Un peu pour y voir plus clair et peut-être aussi pour tirer un avantage du climat frigorifique de la période hivernale. Bien qu’il existe encore beaucoup plus de raisons pour binge-watcher toutes sortes de saisons calé.e au chaud dans un canapé (Les trois séries sont disponibles à la vente en DVD ou blu-Ray).

1. Succession, drame familial

[HBO/ 2 saisons (10épisodes X 60min)/ 2018- En production]

Les sériephiles auront vite repéré le sigle aux trois lettres, garant d’une qualité souvent imitée, jamais égalée. La chaîne payante américaine et son tout nouveau service de streaming HBO Max (disponible courant 2021 en Europe) proposent parmi les meilleurs titres tous genres confondus (True Detective, Les Sopranos, The Wire, SFU,…).

Ici il est question d’une famille américaine à la tête de laquelle règne un patriarche possédant un immense conglomérat médiatique. Si on osait la comparaison avec le monde réel, il se retrouverait parmi les puissants de ce monde, quelqu’un avec assez de pouvoir pour négocier directement avec le président des Etats-Unis…rien que ça. Mais Succession est loin de faire la promotion de ce type de prédateur financier, bien au contraire. La série s’attarde sur les dynamiques familiales dysfonctionnelles encore accentuées par la question épineuse de l’héritage. Enjeux de pouvoirs, rapports de domination, voire d’humiliation…la série brosse un portrait peu reluisant de personnalités souvent pathologiques, à tendance sociopathes. Grâce à une écriture globale de haute volée (personnages, scénario) et un excellent casting (Brian Cox en tête), Succession ne force jamais le trait. Si bien que l’on imagine sans peine certaines situations se retrouver dans la vraie vie. Inévitablement, un sentiment d’incompréhension mêlé d’effroi traversera le spectateur ou la spectatrice, à un moment ou à un autre. Excellente nouvelle, une troisième saison est prévue pour cette année.

2. Sharp Objects, thriller psychologique

[HBO/ 1 saison (8 x 50min)/ 2018] 

Toujours sur HBO (la RTS a diffusé la série en 2019), Sharp Objects enfonce le clou du malaise en invitant au cœur du récit la maltraitance et les troubles psy (décidément). Tout concourt à rendre la série parfaitement glauque: L’atmosphère poisseuse et oppressante d’une petite ville du Missouri, une héroïne autodestructrice renouant avec sa cellule familiale ainsi qu’une enquête sur la disparition d’adolescentes. Pourtant, impossible de lâcher le récit une fois embarqué.e dans les méninges torturés de la journaliste Camille Preaker, incarnée par Amy Adams. Malgré le succès de la série, l’actrice n’a pas souhaité renouer avec son personnage pour une deuxième saison, évoquant le fait qu’il était complexe et (trop) sombre. Heureusement, le scénario se boucle à la fin de ces huit épisodes. En prime, sur l’un des meilleurs dénouement post-générique jamais réalisé. Brutal et époustouflant.

3. Moloch, thriller fantastique

[Arte France/ 1 saison (6 x 52min)/ 2020] 

On ne l’écrit jamais assez, mais la chaîne Arte a musclé son jeu au fil du temps. Ce qui pouvait encore signifier, dans la conscience collective, ennuis et somnolence il y a quelques années; se traduit aujourd’hui par « qualité ». Et c’est bien Arte qui produit Moloch, une série fantastique française. Fait assez rare pour être souligné.

Quelque part dans une ville côtière, des phénomènes de combustion spontanée embrasent la quiétude du lieu et finissent par troubler l’ordre social. Une aspirante journaliste et un psychiatre endeuillé unissent leurs forces pour mener l’enquête. Le tour de force de Moloch consiste à maintenir une ambiance anxiogène et mystérieuse tout au long des six épisodes grâce à une réalisation sans failles. A commencer par la singularité du pitch qui se heurte au à l’esprit cartésien des personnages. Puis, de nous embarquer progressivement avec eux dans le doute et la possibilité qu’une part d’irrationalité puisse s’immiscer dans un monde rationnel. C’est sur ce fil fantastique et envoûtant qu’est construit la série. Le jeu des acteurs.trices, le rythme des dialogues et la photo magnifique (il faut voir la plage balayée par les bourrasques de vent sous un ciel gris ou les gens prendre feu dans la nuit) participent à cette atmosphère pesante, voire désolante, parfois hors du temps. Jusqu’au final sobre et magnifique. Sans doute parmi les œuvres télévisuelles françaises les plus captivantes.