RamaSutra

Du latex, des jambes sans visage, des chambres à air et des corps qui crient sans bouche. Bienvenue dans l’univers brut et incandescent de Carol Rama, l’artiste italienne qui n’a jamais demandé la permission. Au programme de « A Rebel of Modernity » son expo véritable uppercut poétique ? 70 ans d’art indiscipliné, de désir en vrac, de douleurs découpées. Ni école, ni canon, juste sa rage. Sa liberté. Sa folie sublime. Un voyage intense dans l’inconscient d’une femme artiste, pionnière, non-domptée à voir, à encaisser et à digérer lentement au Kunst Muséum de Berne jusqu’au 13 juillet prochain.

L’érotisme comme arme de création massive
Dès les premières salles, une tension s’installe. Une vibration sourde, presque charnelle. Vous n’êtes pas simplement face à des œuvres, vous entrez dans une zone de turbulences où l’art mord, où le regard s’enflamme. Carol Rama (1918–2015), artiste autodidacte de Turin, dynamite les convenances avec une force viscérale. Au Kunstmuseum de Berne, sa première grande rétrospective suisse – déploie plus de 110 œuvres, comme autant de décharges poétiques, sexuelles, dérangeantes, nécessaires. Le titre ? A Rebel of Modernity. Mais ça aurait aussi bien pu s’appeler L’art de foutre le feu à la norme.

Filles nues, fauteuils roulants et pneus crevés

Oubliez les autoportraits sages et les corps idéalisés. Chez Rama, la chair déborde, suinte, se dévisse. On y croise des femmes cyclopéennes, des langues qui lapent l’interdit, des silhouettes amputées de convenance. Elle peint comme on respire après l’asphyxie. Avec une urgence animale.

Dès les premières salles, ses aquarelles de l’Appassionata font tanguer les regards : sexualité féminine crue, poses fétichistes, larmes acides. Et ce n’est que le début.

8 chapitres pour 70 ans de désobéissance

L’expo déroule huit décennies de furie esthétique. Des débuts sulfureux aux assemblages post-industriels, Rama découpe le réel comme on découpe une prothèse : sans ménagement. Période abstraite ? Oui, mais toujours traversée de latex, de fils, de dents et de viscères. Même quand elle bricole avec du caoutchouc de vélo, c’est pour mieux dire l’enfermement, le désir, la rage.

Pas besoin de mode d’emploi : ses œuvres t’avalent d’un coup, comme un cri sans ponctuation.

Délirante, impure, sublime

Rama ne coche aucune case. Elle les brûle. Ni tout à fait surréaliste, ni franchement pop, ni docilement féministe, elle invente sa propre langue — une langue faite de fluide, de silence, et de chaos. Dans ses dernières œuvres, les corps sont réduits à des fragments : seins sans buste, jambes sans sol, visages sans regard. Et pourtant, tout regarde. Tout hurle.

La revanche d’une oubliée

Boudée pendant des années, ignorée des institutions, Rama n’a jamais cherché à plaire. Elle a continué, dans l’ombre, à désosser l’âme humaine. Jusqu’à ce que le monde de l’art se souvienne — un Lion d’Or à Venise en 2003, puis des expositions en cascade. Celle de Berne est l’une des plus complètes à ce jour. Une claque bien méritée.

Pourquoi  y aller ?
Parce qu’on a besoin de femmes qui dérangent. D’images qui dérapent. D’œuvres qui ne demandent pas l’autorisation d’exister. Carole Rama ne rassure pas, elle secoue. Et son art, entre douleur et désir, continue de poser cette question : Que reste-t-il quand on a tout perdu, sauf la rage de créer ?

Carol Rama au
Kunstmuseum Bern

Jusqu’au 13 juillet 2025

Kunstmuseum Bern, Hodlerstrasse 8–12, 3011 Bern

http://kunstmuseumbern.ch