Raf & Miuccia
Miuccia Prada et Raf Simons
Ce sont deux créateurs qui partagent l’amour de l’art contemporain et la timidité médiatique, deux électrons libres dans le monde de la mode dont on pense tout savoir, mais qui gardent avec succès leurs secrets. Miuccia Prada et Raf Simons, deux designers dont les noms sont sur toutes les lèvres depuis que la Fashion Week de Milan s’est achevée, deux noms qui annoncent leur union, sous les yeux effarés d’une poignée de journalistes. L’héritière de la maison Prada ne sera désormais plus seule aux commandes, invitant le designer belge à la rejoindre à la tête des créations de sa marque éponyme dont elle a fièrement porté seule les lettres depuis qu’elle a hérité du label en 1984. La marque italienne devenue iconique va pour la première fois créer à quatre mains, et le choix du nouvel associé de Mme Prada nous étonne, mais par-dessus tout, nous réjouit. Ce nouveau duo porte en lui les promesses de collections futures aussi merveilleuses que surprenantes, où la mode sera résolument redéfinie.
Raf & Miuccia, l’art du mystère
Lors de la conférence de presse qui se tenait le 23 février dernier Miucci Prada et son époux et associé Patrizio Bertelli, annonçaient l’arrivée du designer belge à la co-direction de la maison italienne, expliquant que les deux créateurs « auront des responsabilités égales pour la contribution créative et la prise de décision », venant secouer la planète mode en cette fin de fashion week milanaise. Si le partage de la création de Prada surprend, le choix du nouveau bras droit de Miuccia Prada semble lui évident. En effet, avant de devenir partenaires professionnels, Raf Simons et Miuccia Prada étaient amis. Lors de cette même conférence, Simons démontrait la relation forte qu’il avait construite au fil des années avec la créatrice italienne, déclarant « J’ai hâte de pouvoir exprimer auprès de vous tous, ce dialogue que je vais commencer avec Mme Prada et son équipe. Nous nous parlons depuis des années de mode, d’art et de politique ». Les deux amis se rencontrent en 2005, quand le groupe Prada engage Simons comme directeur créatif de la marque Jil Sanders. Pour le designer belge, un autodidacte diplômé de design industriel, c’est la première fois depuis son revirement de carrière qu’il s’apprête à créer une collection féminine, et qu’il s’éloigne de sa marque éponyme pour créer sous un autre nom. De cette première collaboration indirecte naitra une amitié qui se construit sur leurs caractères si ressemblant, tous deux timides par nature, à la vie privée restée secrète, frileux au contact des médias, et s’entourant ainsi malgré eux d’une aura de mystère qui ne cesse de fasciner. Amoureux de mode, ils partagent également une passion dévorante pour l’art, la milanaise à la tête de deux fondations, et l’anversois ne manquant sous aucun prétexte les principales foires d’art contemporain. Cette annonce d’union de leurs deux noms, qui figureront dès lors côte à côte sur leurs prochaines collections, étonne sans surprendre. Si les ADN de leurs marques respectives semblent contradictoires, l’une embrassant les imprimés et les couleurs, l’autre clamant la simplicité et la neutralité, leur vision du monde et du futur de la mode les rapprochent indiscutablement. Ce nouveau départ pour Prada avec l’arrivée du designer belge au sein de la maison italienne devrait alors insuffler un vent de nouveauté, mais comme toujours avec ces deux créateurs, tout en réserve et subtilité.
La rencontre de deux styles
Si les deux personnages se ressemblent quant à leur vision du monde et à leur discrétion, leurs styles et leurs marques respectives suivent des codes bel et bien différents. Le créateur anversois semble ne plus pouvoir s’arrêter de nous surprendre. Considéré par les critiques comme l’un des designers les plus influent de son temps, Raf Simons est par essence inclassable. Il le déclara lui-même lors d’une interview donnée il y a quelques années, « Je suis terriblement attiré par ce que je ne peux pas définir ». Le grand public découvre plus largement Raf Simons et sa philosophie quand ce dernier est nommé directeur artistique de Dior, étape phare de sa carrière pendant laquelle il insufflera au label mythique ses codes. Un sublime travail du tombé, un goût affiché pour les matières, une maitrise de la technique, il apporte à Dior une touche moderne et résolument tournée vers le monde de l’art tout en respectant l’histoire de la marque. Il révise des pièces passées, telle que la veste Boléro, ou les robes très travaillées, sous lesquelles il n’hésite pas à ajouter un pantalon ou un short, détournant sans déformer. Simons surprend par sa capacité à créer des pièces follement féminines et à l’élégance assurée que l’on retrouve dans les collections d’une certaine Madame Prada.
À la tête de la maison depuis plus de 30 ans qu’elle a su transformer en empire du luxe, la créatrice insuffle à ses collections des révolutions discrètes, parlant de féminisme sans brandir de slogan, changeant les codes de la mode féminine de manière subtile, dérangeant le conformisme sans choquer. Cette façon d’aborder ses créations correspond parfaitement à son personnage, une femme qui bouleverse le monde de la mode en évitant avec grâce cette nouvelle tendance au choc, optant au contraire pour un engagement subtile dans les débats actuels. Mais Prada est aussi une marque à la tendance résolument jeune et arty qui n’en perd pas pour autant son élégance et son chic élitiste. Si les coupes de ses créations sont souvent simples, la créatrice aime se jouer des couleurs et des motifs, n’hésitant pas à les mélanger, à opposer les imprimés aux coloris flashy. Tout semble les séparer, et pourtant les deux créateurs amènent à leur manière une mode intellectuelle, inspirés par des mouvements peu connus du grand public (la scène anversoise des années 80, le féminisme italien des années 70) qui devrait aboutir à des collections aussi flamboyantes qu’intellectuelles.
L’avenir de la mode selon Prada et Simons
Dans une période où la mode est sans cesse remise en question, et se doit de se réinventer, cette union apporte un vent de fraicheur rempli de promesses. Les deux créateurs s’attirant par leur ressemblance de caractère se rejoignent également sur la philosophie avec laquelle ils approchent l’avenir de la mode. À une époque où le business l’emporte tristement sur la création, Prada et Simons déclaraient lors de la conférence leur profond désir de replacer celle-ci sur le devant de la scène : « nos échanges concernaient le système de la mode qui s’oriente toujours plus vers le business, et une industrie du luxe qui exclut de plus en plus la créativité ».